A chacun son paradis

(par Sylvie)

« Tout autour la mer et au milieu l’enfer ». C’est par cette phrase célèbre que Anton Tchekhov qualifie l’île de Sakhaline où, en 1890, il va passer près de six mois pour décrire les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les bagnards et les proscrits du régime tsariste.

Tout autour la mer, oui, mais l’enfer, semble-t-il, s’en est allé voir ailleurs pour les 600.000 habitants de l’île, depuis que l’on y exploite le plus grand gisement combiné de gaz et de pétrole russe off shore.

Pourtant, en arrivant dans le matin gris au port commercial de Korsakov, nous avons plutôt le sentiment d’entrer dans le purgatoire. Avec son compatriote Anthea, arrivé l’avant-veille, Chamade est confiné au milieu des cargos, dans un périmètre entouré de barbelés que l’on ne pénètre pas sans montrer patte blanche. Interdit d’aller s’amarrer ailleurs que dans cette zone dite internationale. Sur le quai, un véritable cimetière de voitures japonaises débitées en demi portion. Soit la tête, soit le cul de la carrosserie, importés séparément, comme « épave », pour éviter les taxes. On les ressoudera ensemble, ici en Russie, on remontera les moteurs arrivés de leur côté par cargo et l’affaire est dans le sac.

Les bagnoles reconstituées, le pétrole. Le paradis se trouverait-il de l’autre côté du chemin de fer à moitié désaffecté ? Après les bâtiments jaunes au toits bleus ? Ne nous emballons pas. À Korsakov aussi l’Union Soviétique a de beaux restes.

Cela dit, la ville est loin d’être désagréable. Des parcs fleuris, des aires de jeux pour les enfants, quelques cafés tendance, des boutiques bien fournies aménagées au rez de chaussée des vieux immeubles communistes reconvertis aux besoins du capitalisme. On a fardé des façades et refait des toits en couleur, comme antidote à la déprime climatique.

À l’hôtel Alpha nous avons pu faire laver nos habits et aussi nous laver dans un sauna qui ressemble fort à un onsen. Souvenir parmi d’autres (des ponts, le chemin de fer, quelques bâtiments) que les Japonais ont laissé de leur présence à Sakhaline. L’île qu’ils ont longtemps partagé moitié-moitié avec les Russes. Rebaptisée Otomari en 1905 par les Japonais vainqueurs de la guerre contre le Tsar, Korsakov a retrouvé son nom en 1945 tandis que son port devenait la principale base de la flotte de pêche de l’extrême-orient soviétique. Et l’île de Sakhaline une zone stratégique fermée.

Aujourd’hui la ville est à la peine, face à Yuzhno-Sakhaline, la nouvelle riche capitale de l’île qui fait dans le business pétrolier. Gregori qui travaille pour Exxon nous y emmène. Pas de doute Yuzhno est une ville cosmopolite qui se développe pour offrir aux expats occidentaux, plus encore qu’à ses habitants une vie très confortable.

Mais c’est Kholms, la ville de son enfance que Gregori veut nous faire visiter. Kholms, où arrive le ferry du continent et qui sert de base arrière au navires d’assistance des plate-formes pétrolières.

Tout au long de la route, Greg nous parle de la vie en hiver, des températures polaires et des routes gelées, du dernier tremblement de terre qui a détruit telle ou telle petite ville. Des ours bruns qui rôdent dans la taïga. Nous en apercevrons deux (une mère et son petit), par hasard au bord d’une des routes principales du sud de l’île. A cette saison ils ont faim. Les saumons n’ont pas encore commencé à remonter les rivières. Ils vont chercher à manger dans la décharge publique.

Greg nous raconte aussi ses grands-parents communistes et leur datcha pink et son terrain de jeu : la plage. Son hobby à lui, c’est le kayak presqu’en toute saison.

Il aurait pu aller vivre à Moscou. Mais pour lui rien ne vaut la nature de son île de Sakhaline. Le mois qu’il préfère, c’est novembre. Quand la taïga rousse se poudre le nez de blanc quand il peut emmener sa fille sur les pistes de ski qui dominent Yuzhno. Pour l’heure, elle est verte, la taïga. D’un vert tendre lumineux, de tous les tons de vert qui existent au monde. Et sous le soleil qui nous réchauffe les os après des jours de pluie, la mer devient bleue.

« C’est ennuyeux, la mer bleue, estime Greg. Moi j’aime quand elle est grise, avec un ciel bas et des montagnes enveloppées de brouillard ». À chacun son Paradis que diable !

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