Honey Moon à Ghost Town

(Par Sylvie)

Steve et Beth sont attablés au « Blue Bird Cafe», sensé être ouvert, aujourd’hui, de 8 heures du matin à 20 heures. Mais comme nous, ils ont dû attendre pour pouvoir manger un hamburger, que Mike, le gérant du lieu, sorte de son sommeil sur le coup de 13 heures.

Beth et Steve se sont rencontrés à Adak, il y a trente ans. Tous deux travaillaient pour la Navy. Elle dans l’intendance, lui dans les services du feu. Que de merveilleux souvenirs ils ont laissés à Adak. « C’était une ville de 8.000 habitants, très animée, nous assure Beth. Il y avait même un Mac Do, des magasins, un hôpital. Et dans le centre de loisirs où je travaillais, il y avait une salle de cinéma , un piscine et des halles de sport. Tout pour mener la belle vie ».

Installé San Diego, le couple est revenu à Adak en pèlerinage pour une semaine de honey moon . Il a fait le voyage par le petit avion qui relie deux fois par semaines Adak à Anchorage. Il s’est fait prêter un 4×4 par des amis et a loué un bungalow encore potable à la coopérative des Aléoutes qui gère le village. Car peut-on encore parler de ville ? Depuis le départ de la Navy en 1995, Adak s’est s’est transformée, au fil des ans en une sorte de ghost town de bungalows préfabriqués inoccupés qui tombent en ruines.

On y compte un peu plus d’ une soixantaine d’habitants permanents, parmi lesquels ne figure ni le maire qui vit à Anchorage, ni les managers aléoutes qui managent les affaires de la coopérative via un directeur exécutif : un Blanc, rondouillard qui officie une partie de la journée au City Hall, derrière le guichet du bureau économique d’Adak et entre 17h30 et 19h, derrière le comptoir de l’unique « store » du village. À Adak, il vaut mieux se munir d’une lampe de poche pour tenter de se ravitailler dans ce magasin où, outre la pénurie chronique de produits frais, il y a souvent pénurie d’électricité, fournie par un générateur capricieux. Les habitants se font plus volontiers livrer par avion, leurs vivres commandés sur internet.

L’hôpital militaire qui assurait un service de santé pour toutes les îles voisines, a lui aussi fermé. Désormais les habitants d’Adak ont intérêt à bien se porter et à éviter les accidents: il n’y a qu’un infirmier pour parer au plus pressé. Une évacuation d’urgence par avion coûte 110’000 dollars. A bon entendeur… En passant devant l’imposant bâtiment du Collège Bob Reeve et du Lycée Mt Moffett on se demande où sont passés les élèves. Sa construction achevée en 1995, il n’a jamais ouvert ses portes. Les enfants et ados d’Adak (il y en a paraît-il encore quelques uns que nous n’avons pas vus) sont scolarisés dans une aile du City Hall.

Au Blue Bird, Mike, le patron du café s’active à la cuisine : six clients d’un coup (dont les quatre membres de l’équipage de Chamade). Quel boulot ! Et s’il se remémore avec nostalgie le temps où il servait dans l’armée de l’air, il ne songe plus qu’à une chose : partir pour retrouver sa Californie natale. D’où l’alternance des films qu’il passe en boucle sur son écran plat, dix minutes d’aviation militaire (il a servi sur le porte-avion Lincoln), dix minutes de pub touristique sur les beautés de la nature californienne. Pour lui, Adak, c’est fini.

En décembre, il s’en ira. Et qui reprendra le « Blue Bird », seul à offrir un service de restauration avec le  « B5 » – fermé les trois quart du temps – ? Ça n’intéresserait pas par hasard Steeve et Beth qui cherche un lieu moins cher que San Diego pour passer leur retraite ? Démenti formel des intéressés. En revanche Beth a posé sa candidature pour remplacer la secrétaire générale de la coopérative aléoute qui s’en va elle aussi. Et tant pis si Adak se meurt lentement. « Bien sûr c’est triste, admettent Steeve et Beth, mais pour nous, Adak restera toujours le plus beau coin du monde ».

C’est vrai que la nature que nous parcourons avec notre ami Justin est envoûtante. Et, bonne nouvelle pour l’écologie, dans une décennie ou deux, Adak pourrait bien redevenir l’île inhabitée qu’elle était, avant l’arrivée de l’armée en 1943. Que feront alors les Aléoutes de ce cadeau empoisonné que l’US Navy leur a fait, en leur cédant leur terrain d’exercices encore truffé d’obus et autres souvenirs de guerre froide ? Une terre dont ils ont hérité, sans jamais y avoir vécu. Ils espéraient en tirer des revenus substantiels, mais ils n’ont jusqu’ici rien pu en faire.

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