Dutch Harbor : un monde de mecs (et de Philippines)

«Ici l’économie est vibrionnante… tout fonctionne 24h sur 24, 7 jours sur 7… si tu bosses, y’a de l’argent à faire ! »  A peine sommes-nous  arrivés que Magnus, le pêcheur de halibuts (flétan) nous emmène déjà faire un tour dans son pick-up pour nous montrer « sa ville » construite de part et d’autre du pont qui relie la grande île d’Unalaska à celle d’Amaknak qui trône au milieu de l’immense baie bien protégée d’Unalaska.

En fait de ville, il n’y a guère que le village d’Unalaska, ses 3 avenues et ses  8 rues, son bâtiment municipal, son école, sa bibliothèque, sa piscine et sa vieille église orthodoxe en bois, la plus grande des Etats-Unis.

Le reste, ce n’est qu’une succession de pêcheries gigantesques avec leurs hangars et leurs bâtiments d’habitation où logent des centaines d’employés. Ici le poisson est tout et  on fait tout pour le poisson.

Mais de poissons,  les seuls que nous aurons aperçus, ce sont les congelés du supermarché.  Pour le reste, à part une odeur de poisson prégnante et omniprésente, parfois pestilentielle, le poisson est invisible.

Des quais aux halles de traitement, en passant par les montagnes de containers frigorifiques, tout est inaccessibles (nos demandes de visites ont été sèchement déclinées) et tout le processus de traitement restera un mystère.

Donc pas vu de poisson, mais impossible de manquer les hommes qui bossent par ici. Des mecs, des vrais, des gabarits impressionnants.

Tous sont en fait essentiellement saisonniers, enchaînant les contrats de 6 à 8 mois selon les saisons de pêche. De janvier à août le pollock, de mai à septembre le halibut (Flétan) l’hiver le King Crab.

« Ici on travaille tous les jours … pendant 3 à 8 mois, puis on passe trois mois de vacances au pays ». Augusto le Mexicain et Roberto le Hondurien sont assis les jambes pendantes sur le bord d’un mur. Une courte pause pendant que leur chalutier débarque sa cargaison. Dans quelques heures ils repartiront pour les confins de la mer de Béring à la recherche du pollok. « On est 120 à bord de notre navire usine de 100 mètres de long… on fait tout à bord. A un bout on remonte le filet et à l’autre le poisson ressort en barquettes de filets congelés ou en surimi. Prêts à la vente. On travaille tout le temps, pas un jour de congé, mais on gagne bien et on ne dépense rien ! En moyenne 8000$ par mois »

Didier, DD comme on l’appelle ici

Plus loin, Didier nous interpelle. Il nous a entendu parler français. Je suis Mauritanien. Je suis ici depuis 12 ans ». Didier, un vrai prototype du rêve américain. « Je suis resté 6 ans  comme immigré illégal à New York puis j’ai pu trouver du boulot par ici. Avec une « green card » à la clé. Je travaille aux cuisines de la cantine de la pêcherie Unisea. Actuellement on sert 250 repas par jour, c’est la fin de la saison. Mais en pleine saison du halibut ou du crabe, c’est 600 repas chaque jour ». Didier partage un chambre à 2 lits avec un collègue 9 mois pas an. Et rentre ensuite à Nouakchott voir sa famille. Il est désormais citoyen américain. « L’an prochain je vais faire venir ma femme et mes enfants, mais pas ici… c’est trop dur. Je les installerai à Anchorage » ajoute-t-il en cherchant ses mots tant il perd son français faute de pouvoir le pratiquer.

Au « Norvegian Rat » l’un des deux bars du coin, Ted nous aborde de sa voix éraillée… « Hi guys, what are you bloody doing here… looking for work ? » Il est vrai qu’on a pas vraiment le look local. La conversation s’engage, si l’on peut dire… Avec son accent et son débit, on en comprend bien un tiers,  on reconstitue un deuxième tiers et on devine le dernier. L’homme est plongeur sous-marin. Il est là pour préparer le renflouage d’un chalutier coulé au nord de False Pass. 2 mois de boulot à Dutch pour préparer la barge qui se chargera de l’opération puis un mois sur zone à baigner dans l’eau glacée. En 2009 il a travaillé comme plongeur sur les barges de chercheurs d’or à Nome. « How, you know Nome… Wouah.. I love Nome… what a good time I had there… » (Voir blog 2011: « Tous les chemins mènent à Nome« )

Au port, c’est Scott qui nous raconte sa vie ici… « Je suis patron d’un crabier… Je pêche le King crab en hiver dans les eaux dingues de la mer de Béring. Un job d’enfer… mais ça rapporte.. 200’000 $ par saison. Une fois les frais déduits, il me reste 140’000 dollars… »

Dutch… des histoires de mecs, de mecs qui bossent, de mecs qui bossent vraiment durs. Ici pas de place pour les flemmards !

Et les femmes ? Ah oui… il y en a… Peut-être 5 ou 10%. Philippines pour la plupart. La serveuse du « Harbor view » : une Philippine de Luzon. La tenancière du service de laverie d’Unisea : une Philippine de Luzon. Les caissières du supermarché : des Philippines…  Toutes  viennent de la même région du nord de Luzon, l’île principale des Philippines, « La région du Président Marcos » disent-elles avec fierté… Une vraie filière !

Autre filière : les conductrices de taxi : toutes vietnamiennes ! Ici décidément on bosse en clan, on se passe le mot, on s’encourage… Car, même s’il y a de l’argent à faire… il faut bosser dur.

Mais au fond, quoi faire d’autre dans ce port du poisson fantôme, à part déprimer !

P.S: Nos écrivains Pierre Crevoisier et Matthieu Berthod ont rejoint le bord ici à Dutch. Le projet « Marins à l’encre » peut commencer. Départ demain à l’aube! (Voir Blog: « Marins à l’encre »)

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