Musique de crise

(Par Sylvie)

En septembre dernier, on l’avait quitté comme ça.

Ce mois de mai, on l’a retrouvé comme ça

Extérieurement, le Harpa, le nouveau palais de la musique et des congrès de Reykjavik, n’est pas tout à fait fini mais  il est déjà ouvert au public.  Face au vieux port, il  dresse son imposante structure de verre et d’acier, aux reflets argenté, turquoise ou émeraude, comme ceux des glaciers qui se mirent dans la mer. Ólafur Elíasson, l‘artiste danois – d‘origine islandaise – à qui les Islandais doivent la facade de ce luxueux édifice, s‘inspire beaucoup des paysages et de la nature nordiques. « La façade du Harpa est un travail artistique et  j‘ai hâte de le voir grandir  au coeur de la ville et j‘espère aussi, dans celui  des  habitants. Certains peuvent ne pas l‘aimer. Mais ça me concerne moins. Cela signifie qu‘il est comparable à toute autre oeuvre d‘art ».

Evidemment, on aime ou on n’aime pas. Mais si « the Harp »   fait  tant parler de lui en Islande, ce n’est pas vraiment à cause de son architecture avant-gardiste qui nous en met incontestablement  plein la vue.  Si certains trouvent l’intérieur du palais de verre « sombre et froid » d’autres s’enthousiasment pour ses plafonds miroitants, ses lignes pures et ses verrières en alvéoles teintées avec vue sur la mer. D’autres encore affirment que « grâce au  Harpa,  les  laveurs de vitre n’ont plus à s’inquiéter pour leur avenir ».

Non ce que les Islandais ne digèrent pas bien, c’est ce goût amer de banqueroute, ce parfum  de « bankgsters »  qui émane de leur nouveau temple de la musique. Car si le projet de construire un auditorium datait de plusieurs décennies, il n’a vraiment pris forme qu’au début des années 2000. Au moment du « miracle » économique islandais.

Mécène et ami des arts, le financier islandais, Björgólfur Guðmundsson,  patron multimillionnaire de la Landsbanki, avait décidé d’investir dans ce projet. Dans la foulée, il comptait de « rénover » à côté du Harpa, tout  la zone portuaire de Rejkjavik, pour bâtir, à la place des petites maisons d’habitation et des commerces de la Langavogur (la rue centrale), un quartier d’affaire futuriste et une université de l’art .

Mais voilà qu’en 2008 la Landsbanki fait faillite, entrainant dans sa chute, l’Islande, Björgólfur Guðmundsson et le Harpa, qui n’était  pas encore sorti de terre. Impossible de laisser en l’état ce grand trou, au milieu d’une Reykjavik déprimée et au bord de la crise de nerf. Après moult discussion l’Etat et la ville décident de poursuivre le chantier. Devisé à 12,5 milliards de couronnes islandaises, « the Harp » coûtera en définitive 27 milliards (environ 130 millions d’Euros) au contribuable, prié par ailleurs, d’accepter les coupes sombres dans les systèmes éducatif et de santé.  Glup !  «  Le pire, s’indigne notre ami  Birgir, c’est que cette construction n’a  profité en rien à l’économie locale : ce sont les Chinois ont fourni les matériaux et en ont assuré le montage et les Polonais ont travaillé sur le chantier ».

A l’exception de quelques musiciens de l’orchestre symphonique  islandais qui applaudissent des deux mains, le spectateur citoyen reste aussi  sceptique face à la démesure du Harpa : 1800 places pour quelque 200 mille habitants de la capitale et de ses environs : les habitants des régions périphériques rechignent à payer un ouvrage qu’ils ne fréquenteront jamais. Quant aux citadins, ils s’interrogent : comment va-t-on faire tourner ce mastodonte?  Y aura-t-il assez de concerts, de spectacles, d’expositions et surtout assez d’usagers pour couvrir les frais de fonctionnement ?  Mais sous leurs dénégations pointe toujours un brin de (légitime) fierté.

Mine de rien, on  vous fera remarquer que, l’acoustique de l’auditorium est extraordinaire, que  « the Harp» a déjà remporté un prix international d’architecture.  Que sous la baguette magique de Vladimir Ashkenazy,(Islandais d’adoption),  son concert inaugural a fait salle comble et qu’il en va de même pour tous les événements programmés en 2011 (classique rock ou musique traditionnelle islandaise)  qui sont « fully booked ».  Quoi de mieux que la musique pour mettre du baume au cœur ?

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