Tous les chemins mènent à Nome

Les grues (sandhill cranes) s’en vont. Elles migrent vers le sud, en escadrons. « C’est signe que l’hiver arrive ».  Son écuelle de chercheur d’or à la main, Jim Frey scrute le ciel. « Dans dix jours je termine la saison. Je rentre chez moi ». Et c’est où chez vous Mr.  Frey ?  Né dans le Montana, Jim vit acutellement dans le sud de l’Alaska. Mais il est à moitié Suisse. Son père était originaire de Baden.  Même s’il ne parle pas un mot de schwyzerdeutsch, ni d’aucune autre de nos  langues officielles, Jim tient à sa demi suissitude¨, à l’autre bout de la chaîne bancaire.  C’est sa première saison à Nome comme chercheur d’or.  Il n’a pas de barge, mais a construit  sur la plage,  avec quatre panneaux de contreplaqué, une baraque de 3m2, où il n’y a place que pour un lit et un poêle à bois. Il a aussi investi  dans une machine à tamiser le sable, dans un quad pour aller jusqu’en ville (distante de  3km) et dans un revolver, un 44 Magnum en inox, dont il fait tourner fièrement le barillet. Chargé faut-il le préciser. Gare aux voleurs de pépites.

A vrai dire, Jim passe sa journée à chercher non  pas des pépites, mais les poussières d’or dont la plage de Nome regorge, paraît-il.  Il les garde dans de petites éprouvettes  qu’il envoie par poste chez-lui, dans le sud de l’Alaska, planquées dans des sachets de sable. «Je ne vais pas devenir riche, mais à 1800 dollars l’once, je vais pouvoir en tirer 4 à 5 mille dollars. Le boulot n’est pas facile. J’ai dû tout apprendre et il faut de la patience, mais j’aime cette vie. Je reviendra sans doute passer l’été à Nome l’an prochain ».

Bill , lui, est un estivant régulier. Avec sa gueule de métèque, ses grosses lunettes et sa barbe blanche aux quatre vents, il vient chaque année en villégiature à Nome pour se remplir les poches de pépites.  Il campe dans une  hutte sur la plage,  comme tous ses compagnons de fortune.

Mais attention. La société des chercheurs d’or a aussi ses hiérarchies. Les amateurs sur la plage, les pro sur leurs barges à aspirateur géant.   Vernon  est de ceux-là. Il a monté son propre business de prospection. « Je déteste ce Barak Obama, autant que celui d’avant… euh, le Bush». Déçu  de la politique, il n’a plus qu’une idée en tête : « to make monney ».  Pilote de navires marchands de la région sud-est de l’Alaska, Vernon possède quatre barges et emploie une dizaine de gars, parmi lesquels un jeune Russe d’Irkoutzk. Un dénommé Igor  qu’on verrait plus volontiers en Stravinsky qu’en chasseur sous-marin de pépites dans des eaux à 3 degrés. La Russie c’est juste en face, de l’autre côté du détroit de Béring. Mais le rêve américain, c’est ici, à Nome.

C’est que la fièvre de l’or donne des frissons. On joue, comme au Casino,  à qui perd gagne avec la même frénésie que les « natives » jouent au bingo le soir dans les bars. Les Esquimaux, comme on les appelle encore aux Etats-Unis, ne s’intéressent pas à l’or. Pour manger ils préfèrent chasser le phoque ou le caribou. Et pour gagner le gros lot, ils préfèrent gratter.

En fin de semaine on rencontre à Nome d’autres sortes d’immigrés temporaires qui  débarquent le week-end des villages environnants.  Une jeune femme  encore sobre nous raconte qu’elle a pris l’avion  pour venir à Nome régler quelques affaires, se divertir, tenter sa chance au bingo « et boire un bon coup ».  Il y a peu, elle a fait de la prison pour avoir tenté de ramener de la bière dans sa communauté « dry » (sans alcool).

Nome est une ville de transit, mais abrite aussi des «immigrés permanents ». Comme Joy,  l’énergique « harbour master » qui le samedi soir, sa vhf posée sur une table et sa guitare dansles bras, remplit l’Airport Pizza  de son répertoire de musique soul.  Comme Damienne, la «petite sœur»  alsacienne de Jésus qui voulait vivre avec les Esquimaux. Arrivée à Nome en 1957, elle a vécu quinze ans, comme eux et parmi eux, sur l’île de la« Petite Diomède », dans le détroit de Béring. Puis elle est venu habiter dans un village proche de Nome où elle a fini par s’installer lorsque le village a été détruit par une tempête. A 83 ans sœur Damienne se souvient – en français pour nous-  du Nome qu’elle a connu. Une ville construite de toute pièce par les « Blancs » qui cherchaient de l’or et où les Esquimaux ont fini par immigrer (ils représentent aujourd’hui 1/3 de la population). A part un quartier de nouvelles maisons, elle  n’a pas vraiment changé depuis les années d’après guerre  et malgré son or, elle ne vit que sous perfusion, grâce aux subventions de l’Etat.

Pour vivre à Nome en exerçant un travail, il faut être fonctionnaire, dans le secteur de la santé, dans l’enseignement ou dans le social. Ou alors il faut ouvrir un commerce.  La mère de Dan, ancien enseignant de français et d’anglais, tient la librairie biblique. C’est dans la maison familiale,   où il est revenu vivre, que Dan a grandi avant de  d’émigrer en France, puis en Allemagne pendant quelques années. Son père était pasteur Evangéliste et dans sa pieuse famille on ne manque pas  le traditionnel déjeuner du dimanche, avec quelques amis de la paroisse,  incollables au quiz des psaumes et des épîtres qui se joue en fin de repas.  Et nous, les nuls de la Bible nous n’avons « pigé que couic », comme dit Dan qui a appris aussi l’argot.  Sauf que nous étions accueillis avec beaucoup d’amitié et de chaleur. Et que tous les chemins qui mènent à Nome, sont ceux de l’amour. L’amour  de l’or, de Dieu ou des Hommes.

Cœur d’artichaut, j’ai choisi la troisième solution, puisque je suis tombée amoureuse de Trace. Il  vit depuis une semaine avec sa sœur Sierra dans la famille de Roland et Deb qui les a accueillis. Dites, il n’est pas mignon ?

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