En arpenteurs amoureux des mers de la planète, nous nous devions d’aller rendre hommage à l’une d’entre elles, en voie de disparition, la mer d’Aral.
Dernier hommage à un mourant ou visite de courtoisie à un grand malade en voie de guérison?
Entre lecture de la presse, consultations d’internet ou visionnement de reportages, difficile de se faire une idée au moment d’embarquer dans l’avion d’Ouzbekistan Airways à Tashkent.
Quelques affirmations recueillies dans la presse :
-La mer d’Aral a diminué de 90%
-La mer d’Aral, le plus grand désastre écologique de la planète
-La mer d’Aral victime de la monoculture du coton
-Mer d’Aral : un Tchernobyl silencieux
-La mer d’Aral renaît peu à peu
-La mer d’Aral retrouve la pêche
-Mer d’Aral : la vie revient
-La mer d’Aral : déjà asséchée quatre fois au cours des siècles
15 jours plus tard, nous revenons du désert du Karakalpakstan avec plus de questions que de réponses.
Diminution de 90% ou renaissance?
S’il est une photo qui a fait le tour du monde, c’est bien celle de ces bateaux échoués en plein désert à des dizaines de kilomètres de la mer. Le fameux cimetière des bateaux de Mouniak.
Aujourd’hui Mouniak est une bourgade fantôme ou presque. Des 40’000 habitants qui s’activaient dans ce port de pêche et de commerce dans les années 60, il n’en reste que quelques milliers. Et les 10 conserveries de poissons ne sont que des friches abandonnées.
La mer est désormais à 150 km, à parcourir obligatoirement en 4×4 sur l’ancien fond de la mer, immense étendue de sable crouté de sel, et recouvert de buissons desséchés.
Lorsque nous l’atteignons au bout de 7h de piste chaotique, Oktyabr, un professeur d’histoire qui nous sert de guide, nous montre une barge posée dans le sable. « L’an dernier elle flottait encore. Les Malaisiens l’utilisaient pour leur travaux de recherches pétrolières ». Aujourd’hui elle est à une centaine de mètres du bord de l’eau. A l’évidence le niveau a encore baissé de près d’un mètre.
Le paysage est totalement désertique. Au bord de l’eau, une couche de mousse, d’écume de sel que le vent emporte. Un doigt plongé dans l’eau confirme le verdict. Elle est salée, terriblement salée. En fait plus de 110gr de sel par litre. C’est une mer morte. Fruit évident d’une évaporation galopante.
En fait, la mer qui faisait 400 km sur 300 en 1960 est séparée en deux. Au nord la Petite mer d’Aral, désormais protégée par une immense digue construite par le Kazakhstan, alimentée par les eaux du Sir Daria. Depuis 5 ans le niveau de l’eau remonte et la pêche a pu reprendre modestement. Elle fait désormais 85 km sur 40 (2 fois la taille du Léman). C’est cette réussite, fortement médiatisée, qui a fait courir le bruit d’une renaissance. Au sud, la grande mer d’Aral continue de disparaître inexorablement. Aujourd’hui la grande mer ne mérite plus son nom. Elle ne mesure plus que 185 km sur 50. Elle a bien perdu les 90% de sa surface.
Une mer victime de la monoculture du coton ?
Cela fait 3 heures que nous sommes en route quand nous apercevons une première étendue d’eau. La mer ? Déjà ?
Dans les ruines d’un ancien village de prisonniers politiques de l’URSS, quelques pêcheurs s’affairent. Ils sortent de gros poissons ressemblant à des carpes qu’ils ramassent au filet depuis leurs barques faites de contreplaqué étanchéifié au goudron. C’est un enchevêtrement de petits canaux qui serpentent entre les roseaux. L’eau est douce. En fait ce n’est pas la mer, mais les derniers marécages alimentés par l’Amou Daria, ce fleuve géant venu des contreforts du Pamir, à plus de 2000 km au sud-est.
Dernières gouttes d’un fleuve peu à peu dépecé tout au long des derniers 1000 km de son parcours. Le coton et ses gigantesques besoins en eau est passé par là. Les canaux et conduites d’irrigation sont partout le long de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Turkménistan. Le régime soviétique en avait fait une priorité. Un canal de 1300 km de long, le canal du Karakoum va même jusqu’à la mer Caspienne, irrigant le désert turkmène.
Aujourd’hui l’Ouzbékistan est le 4ème producteur mondial de coton, et le régime du président Karimov, ne peut se passer de cet or blanc. Sa culture est totalement contrôlée par l’Etat, et de septembre à novembre, tous les écoliers, étudiants, soldats sont envoyés au champ pour la récolte. Même les entreprises doivent fournir un contingent d’ouvriers pour la récolte.
En plus le gaspillage est colossal. Partout nous apercevrons les petits geysers qui caractérisent les fuites sur les conduites d’irrigations, sans parler de l’évaporation sur ce canal à ciel ouvert. Au final, le peu d’eau qui a échappé au captage termine sa course dans les marais de Mouniak et des environs, la mer est encore à plus 100 km.
La mer victime du coton, c’est une évidence. La concentration en sel prouve bien l’évaporation. Reste que cela n’explique pas la rapide baisse du niveau survenue dans les années soixante.
« La mer s’est retirée en une nuit » ?
La nuit est tombée sur le campement. Oktyabr notre guide, professeur d’histoire et archéologue nous a préparé un excellent plov sur le feu. Il est né à Mouniak dans une famille de pêcheur.
Un beau matin lui a raconté l’un ses oncles, « Je me suis réveillé en entendant les cris des gens : La mer a disparu… la mer a disparu ! En une nuit le niveau avait baissé de plus d’un mètre et les bateaux s’étaient retrouvés échoués dans le port. Et la mer n’est plus jamais revenue »
Comment expliquer ce phénomène ?
Une marée exceptionnelle provoquée par une tornade? Pas totalement impossible, les marées exceptionnelles qui caractérisent les cyclones le démontrent. Mais après, la mer revient.
Un tremblement de terre ouvrant une faille au fond de la mer ? Possible, mais pour faire baisser la mer d’Aral d’un mètre en une nuit, imaginez la taille de la faille ! Et pourquoi cela se serait-il arrêté au matin ?
Il ne faut donc pas prendre ces témoignages au pied de la lettre, mais il montre symboliquement la vitesse du phénomène à la fin des années soixante. Une diminution que seule l’évaporation ne saurait expliquer.
Déjà asséchée quatre fois au cours des siècles ?
Des recherches archéologiques entreprises ces dernières années ont révélés l’existence ruines antiques et de restes humains des 9ème et 14ème siècles dans les fonds asséchés de la mer d’Aral. Des découvertes qui prouvent que la mer d’Aral aurait disparu et serait réapparue, sans doute quatre fois au cours des siècles. D’ailleurs le fleuve Amou Daria se jetait à une certaine époque directement dans la mer Caspienne. D’autres recherches veulent mettre en évidence l’existence de fissures dans les roches sédimentaires poreuses qui occupent le bassin de la Caspienne. Et certains chercheurs estiment que ces fissures auraient pu se rouvrir dans les années soixante lors de séismes. Rappelons que Tashkent fut partiellement détruite en 1966 par un tremblement de terre.
Autant de découvertes récentes qui renforcent ceux qui croient que la mer se vide essentiellement par le fond. Mais si c’était le cas, alors pourquoi la concentration de sel irait-elle en augmentant si fortement ?
Un Tchernobyl silencieux ?
A la fin de l’Union soviétique dans les années 90, des études montrent des taux alarmant de malades parmi la population de la région de la mer d’Aral. Maladies rénales et respiratoires, tuberculoses (surtout chez les enfants) malformations congénitales, anémie, etc…
La cause est vite détectée : les produits chimiques, particulièrement le DDT utilisés massivement dans la culture du coton. Autant de produit qui finissent dans le fleuve, et au final dans la mer d’Aral. Celle-ci en se retirant a laissé un fond de sable très pollué. Un sable emporté par les tempêtes de l’hiver et dispersé dans l’air aux alentours.
Pour lutter contre ce phénomène, le gouvernement ouzbèke a mené une immense campagne de semis de graine de saxaoul par avion. Le résultat est clairement visible et les fonds asséchés de la mer sont recouverts et stabilisés par des milliers de petits buissons. L’emprise des vents est donc moindre.
Selon Oktyabr, notre guide karakalpak, aujourd’hui les conditions sanitaires se seraient très nettement améliorées. N’ayant pas pu le vérifier, nous ne pouvons que le croire sur parole.
De là à déguster sans soucis les poissons péchés dans l’Amou Daria ou pire dans les marais de Mouniak, il y a un pas que nous n’avons pas franchi, si ce n’est pour honorer du bout des lèvres quelques morceaux qu’on nous a offert. Excellent d’ailleurs, mais les DDT et consort n’ont évidemment pas d’odeur.
Alors : la mer d’Aral: A passer par pertes et profits ?
Par perte assurément du côté de l’Ouzbékistan. Pas question pour lui de freiner l’exploitation du coton, donc pas question de limiter ses ponctions dans le cours de l’Amou Daria. Si du côté kazakh la petite mer semble en voie d’être sauvée (Au Kazakhstan le pétrole a largement remplacé le coton) en Ouzbékistan rien n’est, et sans doute rien ne sera fait pour inverser la donne.
Par profit pour l’Ouzbékistan, puisque désormais sur le fond asséché de la mer, les derricks se multiplient… les compagnies ouzbèques, chinoises ou malaises forent à qui mieux mieux. Des gisements de gaz sont déjà en exploitation, d’autres attendent de l’être.
Après l’or blanc, c’est l’or noir qui prime… sans rapporter hélas un kopek, ou plutôt une sum de plus aux populations karakalpaks qui n’ont que la nostalgie pour pleurer.
La mer d’Aral : comment y aller ?
Vol direct d’Ouzbekistan Airways de Paris ou Genève vers Tashkent
Vol intérieur de Tashkent à Nukus
La suite se fait en véhicule 4×4 avec bivouac au bord de la mer.
Contacter Oktyabr qui peut tout vous organiser :
Oktyabr Dospanov
PH.D.History
Nukus
Mobile 00 998 61 351 13 65
oktyabrd at gmail.com
(Parle anglais)