Mourmansk – Arkhangelsk : « Juste passer sans encombre »
Par Marc à 19:02 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
Mourmansk – Arkhangelsk, ça fait près de 450 milles dans les eaux de la Mer de Barents, puis dans Gorlo, le goulet d’entrée de la Mer Blanche. Des eaux à la réputation sulfureuse.
Autant dire qu’ici on ne vient pas faire de la croisière ou faire de la voile, on essaie juste de « passer sans encombre ».
Lundi soir 15 juin: une fenêtre météo semble se confirmer, une faible haute pression sur le nord de la Scandinavie devrait nous donner des vents portant. Il est temps de mettre les choses en route, puisqu’on ne part pas « comme ça » en Russie. J’appelle Dmitry notre agent et nous convenons de confirmer le lendemain à 7h30 pour un départ prévu à 10h, avec la marée.
Mardi matin, la carte météo n’a pas changé, on décide de se lancer. A 9h30 les autorités sont là. Mais il manque une photocopie, Dmitry s’en va la chercher. J’en profite pour demander à l’officier où il pourrait être possible de s’arrêter en cas de mauvais temps. L’offre n’est pas bien grande et les 3 lieux suggérés se situent dans les premiers 100 milles. Pour nous le seul qui serait vraiment utile, à mi-route, derrière Mys Zvyatoy Nos, est hélas une « Zato »,une zone interdite. Il est vrai que c’est un des lieux de démantèlement des sous-marins nucléaires russes. Autant dire qu’il faudra faire route directe. Finalement à 10h30 on largue les amarres et redescendons les 30 milles du Kol’skiy Zaliv, le fjord de Mourmansk. Les mousses lavent le pont. Pas du luxe après une semaine à Mourmansk !
Soleil, vent portant…ça baigne. Mais dès la sortie, avec ce vent chaud de sud qui arrive sur l’Océan Arctique, le brouillard est au rendez-vous. Un brouillard qui nous accompagnera presque sans discontinuer 2 jours durant. Autant dire que le radar est bienvenu. Mais le vent est faible, on appuie donc au moteur.
Mercredi soir, 20h, sur le radar l’écho d’un cargo se rapproche dangereusement. Il n’est plus qu’à 2 milles. A la VHF j’entends parler russe… Je me lance en anglais « All ship… Sailing yacht Chamade… position… ». Et le cargo répond dans un anglais teinté d’accent russe. « I can see you on my radar, I change my route and pass on your starboard ». Et quelques minutes plus tard on l’aperçoit tel un fantôme qui glisse dans l’air glacé.
Jeudi, le fichier Grib récupéré via l’Iridium confirme un net renforcement, et le vent d’ailleurs commence à grimper : 20-25 nœuds, puis 30 et enfin 35 noeuds à l’entrée de la Mer Blanche. Heureusement le courant de marée est avec nous et nous filons à plus de 10 nœuds sur le fond, génois tangonné et 2 ris dans la grand-voile.
L’eau est devenue vert olive, tant elle est chargée d’eau tourbeuse charriée par les fleuves en cette fin de printemps. Tu parles d’une Mer Blanche !
Chamade en profite pour repasser le Cercle Polaire Arctique (66°33’N), après maintenant plus de 2 ans passés à son nord. Eh oui, désormais on fait du sud!
Puis tout s’arrête d’un coup, le baro baisse et le vent rentre de sud, évidemment en plein dans le nez. On remet le moteur pour gagner tout ce qu’on peut d’autant plus que nous avons rendez-vous le lendemain matin à 10 heures avec le pilote (obligatoire), à la bouée d’entrée du chenal d’Arkhangelsk. . La « nuit » (jour permanent) est agitée.
Vendredi 10h15, nous sommes à la bouée, mais notre agent nous indique par téléphone que le pilote ne sera là qu’à 13h30. Il y a un mètre cinquante de creux, impossible d’attendre là, surtout que l’heure est favorable pour la marée. Par VHF j’appelle le « Port control » et leur indique que je ne peux pas stopper et que je fais route dans le chenal. Au bout de 2 heures, alors que nous sommes enfin en eaux calmes, la pilotine arrive.
Pilotine pour cargo, mais bien grosse pour accoster Chamade. En tête le refrain tourne et retourne…« Ici on essaie de passer sans encombre ».
On serre les fesses et la barre…la manoeuvre se fait à vitesse stabilisée à 5 nœuds, la vague d’étrave de la pilotine jailli entre les 2 coques et c’est le pilote qui est trempé à l’embarquement…. Welcome on board !
3 heures plus tard, nous mouillons devant le club nautique d’Arkhangelsk. Mais oui ! Il y a un club nautique, mais le tirant d’eau est limité et nous attendons la marée haute pour voir arriver le directeur du Club, qui prend la barre de Chamade pour un amarrage parfait, nez au quai, ancre à l’arrière. L’accueil est juste royal, ici la venue d’un voilier étranger est un événement.
Juste un mot tout de même pour les équipiers, Marco notre greffé du foie, et Gaëtan, notre collègue russophone. Ils ont juste été parfaits ! Merci.
14 juin 2009
Touchante, Natacha
Par Marc à 22:09 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
(Par sylvie)
Elle s’est mise en mille, Natacha, pour nous recevoir. Dans le modeste deux pièce où elle vit avec son mari, mécanicien sur auto, et Tatiana, sa fille de 22 ans, elle a mis les petits plats dans les grands : poisson, œufs durs, salade de foie de morue, salade de calamars, choux rouge cuit et jambon à l’os. Un vrai régal.
Natacha est retraitée, mais elle continue à donner des cours d’anglais à la Mourmansk Shipping Cie où elle a travaillé dès son arrivée à Mourmansk. C’était dans les années soixante quand elle a rencontré son mari. Avant elle vivait à l’autre bout de l’Empire russe. En Sibérie, à Novossibirsk où elle est née. Avec un mélange de pudeur et de fierté, butant par timidité sur les mots d’anglais qu’elle prononce avec un fort accent russe, elle nous raconte l’histoire sa famille qui se confond avec celle des la Russie.
Originaire de l’Altaï, le grand père maternel de Natacha était un « Koulak », un grand propriétaire terrien. Situation fort peu enviable après la révolution bolchevique. Anticipant l’expropriation et, sans doute, la déportation, il partit avec femme et enfants à Omsk, là où de nombreux Russes blancs, avaient trouvé refuge, dans l’éphémère République de l’amiral Koltchak. Sous la pression de l’Armée Rouge, la famille a dû fuir encore plus à l’est, jusqu’à Novossibirsk, où Natacha retourne encore chaque été pour voir sa mère.
Les yeux baissés, légèrement embués elle raconte, se lève, va chercher les photos souvenirs et les médailles de son père, héros de « la grande guerre patriotique », entendez la deuxième guerre mondiale.
La discussion glisse vers la politique. « Ce que vous ne comprenez pas, en Europe, c’est que nous ne voulons pas du capitalisme. Nous voulons le socialisme ». La ton de Natacha s’est fait plus ferme, mais elle reste très sereine, rejetant sur Staline la faute d’avoir perverti l’idéal de justice et égalité auquel elle croit. Quant à Lénine, elle l’a « beaucoup respecté » dans sa jeunesse, mais avec le recul, elle pense « qu’il aurait mieux fait de rester à l’étranger ». Poutine, lui essaie de faire « quelque chose pour redonner aux Russes leur dignité »
Et surtout n’allez pas lui parler de l’oppression du régime. « Je me suis toujours sentie libre, dans mon pays », dit-elle. Bien sûr elle vit plus que modestement, sans voiture, sans eau chaude, ni aucun superflu. Mais ce qui lui manque, le plus à Mourmansk, c’est le soleil glacé de la Sibérie, l’alternance du jour et de la nuit. Parce qu’ici six mois par ans, tu vis à l’ombre.
14 juin 2009
Mourmansk peut en cacher une autre
Par Marc à 21:39 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
Mourmansk, c’est un peu Janus. La Mourmansk de l’hiver, Mourmansk blanche, plongée dans la nuit polaire… (comme sur cette photo prise en décembre 2007)
Et Mourmansk l’été, lumineuse au soleil de minuit.
Mourmansk sale au fond du port, Mourmansk étonnamment propre au centre ville. Mourmansk la décrépie, mais aussi la plus moderne.
Que ce soit au centre d’hémodialyse comme on l’a vu hier, ou dans son système de téléphone 3G, à prix imbattables (0,5 cts la minute en réseau local, 5 cts en national, et 4 cts le mega grâce au modem USB acheté 30 frs chez Megafon, l’une des compagnie locale).
Mourmansk et ses 2 faces qui se télescopent en permanence.
Le centre-ville et son architecture néo-classique fait face aux immenses barres d’immeubles tristes si typique de l’époque soviétique. Une ville qui comme tout un pays vit une transition à marche forcée entre le communisme et le capitalisme, transition dure, impitoyable, moins anarchique aujourd’hui qu’il y a quelques années, mais qui laisse tout de même toute une partie de la population sur le bas côté de la route.
Une transition d’autant plus ressentie ici, où les coupes drastiques dans le budget militaire ont provoqué une véritable saignée dans cette ville au centre du dispositif de la Flotte du Nord et ses fameux sous-marins nucléaires. (Le Koursk a coulé à une centaine de kilomètre au large)
La ville a ainsi perdu 100’000 habitants en 10 ans, soit le quart de sa population. Mais aujourd’hui l’économie repart, les budgets militaires sont à la hausse, et ici on compte avant tout sur les promesses de Shtokman, le plus grand gisement gazier sous-marin découvert au monde. Situé à 600 km au large, en mer de Barents, sa mise en exploitation devrait se faire dans les 10 prochaines années. (voir mon reportage de fin 2007)
http://info.rsr.ch/fr/points-forts/Fluide_glacial_Une_ruee_vers_l_or_noir_en_pleine_nuit_polaire.html?siteSect=2011&sid=8542750&cKey=1199364500000
Mais tout ça est une autre histoire, pour l’heure les habitants profitent de cette belle journée ensoleillée de mi-juin. C’est si rare par ici. Un dicton local ne dit-il pas que l’été ne dure que 2 semaines. Chic, on en a déjà eu la moitié !
11 juin 2009
Mourmansk : Entrée en zone stratégique
Par Marc à 18:13 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
En approchant de Murmansk, il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte de l’importance stratégique de la zone.
Partout les collines sont hérissées d’antennes. Dans les recoins du fjords, 3 bases militaires sont visibles, dont 2 ne figurent même pas sur les cartes. Les bases des sous-marins nucléaires de la Flotte du Nord. (Celle du Koursk de triste mémoire est juste dans le fjord d’à côté) Plus loin, nous passons devant Severomorsk, une ville de 80’000 habitants, base centrale de la fameuse flotte du Nord. Une ville encore aujourd’hui interdite aux visiteurs étrangers.
Puis au détour du fjord apparaît enfin Mourmansk et son port qui s’étire sur des kilomètres.
C’est d’abord le quai des brise-glace nucléaires, puis un porte-avion, le port marchand, le port charbonniers avec ses grues et ses pyramides noirâtres et enfin le port de pêche.
Par radio l’autorité portuaire nous guide vers le seul ponton flottant, celui des remorqueurs, au fond d’une darse où nous pouvons tant bien que mal nous amarrer sur son extrémité. Pas terrible, mais finalement le seul à peu près convenable pour un voilier. Ailleurs rien si ce n’est d’immenses quais pour cargo.
Et là, entre des barrières rouillées et des plots de béton nous attend le comité d’accueil : l’officier des douanes, 2 représentantes de l’immigration et notre agent local, Alexandre, chargé de nous faciliter les formalités.
Et rien n’est simple. Rien n’est prévu pour un voilier. Ni l’amarrage, ni les multiples formulaires destinés aux cargos, où il est question de chargement, de dimension de la passerelle ou de la puissance des propulseurs d’étrave. D’ailleurs le dernier « yacht », nous disent-ils de mémoire, ils l’ont vu il y a plus d’un an.
Listes d’équipage en 8 exemplaires, certificats, description de cargaison… il faudra près de 2 heures pour accomplir l’ensemble des formalités. Pointilleux mais très courtois. Le problème pour chacun étant avant tout de trouver la manière adéquate de remplir les fameux formulaires de manière réglementaire. Restera encore la sécurité portuaire, de nouvelles listes d’équipage, afin que les postes de gardes du port nous laissent entrer et sortir à notre guise de cette zone fermée qu’est le port.
Des démarches qu’il faudra répéter pour chaque personne venant à bord, comme notamment ceux qui viendront garder le bateau pendant nos absences, puisque le règlement interdit de laisser le bateau sans surveillance.
Mais tout est bien qui finit bien, et dès les formalités terminées, c’est au tour des télévisions locales de défiler pour couvrir l’événement : un voilier avec des greffés suisses à bord. Pourquoi faire, pourquoi ici ? Les interviews se succèdent sous l’œil du cerbère de la sécurité, chargé d’empêcher toute prise de vue générale du port. Et ce dernier, très vite nous
Kirkenes-Mourmansk : Une traversée sous haute surveillance
Par Marc à 18:05 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
Disons-le tout de suite, la Russie a décidé de nous gâter, au moins pour notre arrivée.
D’abord par un ciel splendide pour notre traversée de 150 milles entre Kirkenes et Mourmansk : avec pour corollaire, un splendide soleil de minuit sur la mer de Barents.
Avec notre nouvel équipage (Gisèle Ceppi et Gaëtan Vannay) nous sommes même un peu trop gâtés même puisque le vent est presque nul. Mais au moins nous ne l’avons pas dans le nez. La prise de ris ne menace pas et c’est au moteur que nous ferons toute l’étape.
Cela dit, n’entre pas qui veut en Russie, et surtout pas n’importe comment. Outre la fameuse autorisation du Gouvernement de la Fédération de Russie, il nous a fallu désigner un agent maritime chargé de nous représenter à terre. Et c’est lui qui doit communiquer aux gardes-côtes russe notre ETA (heure estimée d’arrivée) dans les eaux territoriales. Il doit même le faire 24h, 12h et 2 h avant le franchissement de la ligne des eaux territoriales. Franchissement qui doit se faire à un point précis (69°52’N et 33°32’E)
Pour nous, l’homme de la situation c’est Vladimir Ivankiv, de St Petersbourg. L’homme indispensable pour qui veut se rendre à la voile en Russie. Et même s’il ne peut rien pour vous en ce qui concerne l’autorisation pour le canal du Belomorsk, pour le reste il peut grandement vous faciliter les choses et même vous obtenir une invitation pour St Petersbourg. (Son mail vladimir@sailrussia.spb.ru)
Vladimir que nous réveillons donc à 5h30 du matin pour lui annoncer notre ETA pour 8h.
Le moment solennel approche, et l’on prépare le drapeau russe. Drapeau acheté spécialement avant de partir, mais qu’on arrive pas à retrouver à bord. C’est donc à la machine à coudre qu’on en fabrique un pour l’occasion.
8h02, avec une précision toute helvétique, nous franchissons la ligne. Il est temps d’hisser les couleurs : le drapeau russe et le pavillon Q, le pavillon jaune demandant la « libre pratique », qu’on laissera hissé jusqu’à l’accomplissement des formalités d’immigration et de douane.
Et 3 heures plus tard, à l’entrée du long fjord conduisant à Murmansk, les gardes-côtes viennent reconnaître le voilier, avant de nous faire des grands signes de bienvenue.
08 mai 2009
Le projet Chamade approuvé par Vladimir Poutine
Par Marc à 14:22 :: 2009 Russie Mourmansk Arkhangelsk
Cette fois-ci c’est fait!
Nous avons enfin reçu l’autorisation de nous rendre en Russie et surtout de traverser le Canal du Belomorsk reliant la Mer Blanche à la Baltique.
Un canal construit dans les années 30 par Staline et cela pour des raisons stratégiques. Il fallait un accès maritime à la mer de Barents et à l’Atlantique.
Ce canal fut construit par les prisonniers de l’Archipel du Goulag. Si Soljenitsine parle de 250’000 morts, les historiens aujourd’hui s’accordent sur le chiffres, tout de même terrible, de 25’000 morts. Il relie donc la ville de Belomorsk au bord de la Mer Blanche au lac Onega. Et de là, par les fleuves aménagés, la navigation fluviale continue vers St Peterbourg et la Baltique, ou alors vers Moscou, la Volga et la Mer Noire.
Mais depuis les années 30 la loi russe interdit la navigation sur ses eaux intérieures aux navires étrangers.
Au début des années 2000, durant la période de flottement de la fin de la présidence de Boris Eltsine, quelques voiliers nordiques ont pu emprunter le canal au cours du rallye du Millénium. Mais depuis la loi est à nouveau en vigueur et plus aucun voilier étranger n’a pu franchir ce fameux canal. Mais le projet Chamade a su retenir l’attention des autorités russes.
Grâce à notre réseau de relations, nous avons pu entrer en contact avec une haute personnalité russe qui a bien voulu soutenir notre projet de rencontres entre greffés suisses et russes. C’est ainsi que ce projet fut défendu auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, et que finalement Chamade bénéficie d’une ordonnance gouvernementale signée par le Premier ministre Vladimir Poutine, l’autorisant exceptionnellement à emprunter le Belomorsky-Baltisky-Kanal durant l’été 2009.
L’aboutissement de 14 mois de démarche!
Reste maintenant l’aventure. Elle commencera début juin par notre entrée en Russie dans le port de Mourmansk.