Sommet francophone à Atka.

(par Sylvie)

L’aube se lève sur l’île d’Atka. Encore tout embrumé de sommeil, le volcan Korovin nous fait l’honneur de se montrer tandis. Le rideau de nuages se lève brièvement sur les sommets.

Et derrière le cap, au fond de la baie, le vieux village d’Atka apparaît, avec son église russe et quelques baraques de bois visiblement abandonnées.

Le nouveau village est de l’autre côté de la colline et abrite toute l’année environ 80 personnes, pour la plus part des Aléoutes. Sans compter les travailleurs de l’usine de conditionnement du poisson qui passent la saison d’été à Atka. L’information nous est donnée par un pêcheur qui vient nous souhaiter la bienvenue et disparaît aussi vite qu’il est apparu.

Que viennent faire quatre Suisses francophones dans ce bled perdu ? Visiter ? Quelle drôle d’idée.

Nous n’avons pas mis pied à terre depuis un quart d’heure que le pick up du chef de la sécurité s’arrête pour faire la causette…en anglais, of course. « il y a une dame qui parle le français ici, allez la voir, elle habite la petite maison bleue, à gauche du chemin, en face de l’école ».

C’est ainsi que nous faisons la connaissance de Marie-Amélie Salabelle, une jeune anthropologue parisienne, venue se familiariser avec l’art aléoute de la vannerie. Une tradition qui se perd et dont elle veut garder des traces. Marie-Amélie est une habituée de Atka où elle a passé des mois pour rédiger sa thèse, instituée : « Une église en héritage: orthodoxie et mémoire à Atka ». Un pavé de 377 pages dans lequel elle étudie la conversion des Aléoutes à l’Église orthodoxe russe, au début du 19ème siècle, et comment, au fil du temps, ils se sont approprié cette religion pour mieux l’ancrer dans leur culture, en y mêlant des éléments de leurs anciennes croyances chamaniques.

Aujourd’hui, avec une des dernière vannière aléoute, elle apprend à récolter les bonnes herbes, à les sécher, à les couper très finement et – selon un rituel très précis qui symbolise la maternité- à les tisser de façon si serrée que les paniers deviennent parfaitement étanches.

Le colloque improvisé, se déroule en plein air, sous l’œil incrédule des enfants qui nous observent de loin. On se compte parmi – comme on dit en bon français Nous sommes cinq francophones sur l’île… non six, avec le Mexicain employé à l’usine de conditionnement de poisson, après avoir travaillé à Genève et à Marseille, pendant de longues années. Nous frisons les 10 % de la population. Ce n’est plus un colloque, c’est carrément le sommet francophone le plus paumé du monde.

Et comme nous ne sommes pas sectaires, nous invitons Van, à se joindre à nous. D ‘accord il est Américain (originaire de Kodiak, Alaska), mais sa femme a étudié le français et de nous entendre parler lui donne un peu le vague à l’âme. Car Van est seul à Adak.

Marié depuis un an à peine, il a dû laisser sa jeune épouse politologue à Washington. Elle travaille pour la fonction publique. Mais lui n’a pas trouvé de job, malgré son master en management. « aujourd’hui, dans les villes, la compétition est féroce », dit-il. Alors, comme le Mexicain francophone et beaucoup de saisonniers dans les Aléoutiennes, il s’est exilé pour cinq mois à Atka. Il s’occupe, pour un très bon salaire, de la gestion de l’usine à poisson de la coopérative de la Société des îles Aléoutennes et de Pribilof. Van nous fait lui même les honneurs de la maison.

Le soir il est venu nous voir au bateau. Sa femme lui manque et il n’a pas beaucoup l’occasion de socialiser ici. Il savoure sans cacher son plaisir la première bière qu’il boit depuis le mois de mai. Car Atka est un « dry village ». L’alcool y est interdit. Pas d’alcool, pas de femme et encore deux mois à tirer. Pauvre Van. Une soirée sur Chamade aura suffi à le rendre, si ce n’est francophone, au moins francophile (il ne fera pas de différence avec les Suisses français). Sûr qu’on pourra compter sur lui pour nous faire une bonne pub. A Adak, mais aussi à Washington, lorsqu’il rentrera.

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