Civisme à la coréenne

(Par Sylvie)

Séoul, samedi 3 décembre 2016. Préparatifs de la monstre manifestation qui a lieu chaque samedi, depuis maintenant 5 semaines, pour réclamer le départ immédiat de la Présidente Park Geun Hye.

Dès midi une organisation exemplaire se met en place. Les associations et les partis d’opposition ne sont pas seuls à se mobiliser. Le maire de Séoul qui en fait partie a envoyé ses services pour assurer la diffusion par haut-parleurs et sur grand écran des concerts et discours politiques.

Il assure aussi la présence de toilettes publiques, tandis que les compagnies privées de téléphonie dressent partout des antennes supplémentées pour éviter la saturation de leurs réseaux.

On a collé sur les trottoirs des affiches raillant la Présidente, pour que les citoyens lisent et la piétinent symboliquement.

Et qui dit manif, dit business en perspective. Les marchands de barbe à papa et autres brochettes salées sucrées, installent leurs échoppes le long de l’immense avenue qui mène à l’enceinte du palais royal de Gyeongbokgung et juste derrière à la maison bleue, résidence de Park Geun Hye. Vers trois heures, les manifestants commencent à affluer lentement. Des vieux, des jeunes, des familles avec leurs enfants

On fait la queue pour acheter des bougies. On se munit de drapeaux et des affiches qui disent à la Présidente « casse-toi ».

Notre ami Joon nous entraîne dans la foule bon enfant qui devient de plus en plus compacte. Les haut-parleurs commencent à gueuler. L’écho des citoyens en colère s’élève. Mais tout est savamment dosé. Entrecoupé de pauses musicales offertes par des groupes de rock (bonne pub pour eux).

Les moines et les nonnes sont en première ligne, eux aussi.

Sur un drap tendu, des gens font rouler la tête carnavalesque de la Présidente et chacun est invité à la molester. On tape, on tape, avec la rage et la colère qui anime tous ceux qui sont descendus ce soir dans la rue. Les Coréens qui, dans les années 70 se sont battus à coup de manifestations sanglantes pour faire tomber la dictature, n’admettent pas que les politiciens bafouent et salissent la démocratie, LEUR démocratie, conquise de haute lutte. La présidente qu’ils ont élue, il y a quatre ans est aujourd’hui accusée de trafic d’influence et de corruption. Et ses excuses n’y feront rien, ni les jeux politiciens de son parti. Elle doit « dégager » fissa et être jugée. Préserver la démocratie, c’est aussi préserver l’éthique en politique.

La tension monte et pour moi aussi l’excitation avec, je l’avoue, un brin de nostalgie pour ces moments uniques de journalisme où l’on a le sentiment d’assister ou de participer à un moment historique.

On s’approche de la Maison bleue. Les cars de police balisent l’itinéraire indiqué sur un écran géant.

Mais sous les casques en faction, pas la moindre manifestation d’animosité. On a même reculé de 100 mètre la zone à ne pas franchir. Parce que jusqu’ici toutes les manifestations se sont déroulées sans incident. « personne ne veut que les violences des années 70 se répètent », explique Anna, la femme de Joon.

La nuit est tombée sur Séoul, il est 19 heures, le cortège refoule dans la rue adjacente pour rejoindre la marée montante des bougies qui illuminent un océan d’ombres chinoises, assisses sur l’asphalte.

Ce soir, ils sont plus d’un million et demi à avoir investi pacifiquement l’avenue. Sans bousculade, sans agressivité, sans violence, mais avec la froide détermination de ceux qui ne veulent plus s’en laisser conter. Belle leçon de civisme d’une jeune démocratie qui veut vieillir dans la dignité.

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