Aigle ou Corbeau ?

(Par Sylvie)
A quel clan appartient Bert, notre chauffeur du moment qui a accepté de nous ramené au port de Sandspit, dans son pick-up ?  « Eagle » répond-il, parce que ma mère est du clan des Aigles. Chez les Haida, en effet, c’est par les femmes que se transmet la lignée et la tradition veut (pour que les sangs se mélangent) qu’un corbeau épouse un aigle et vice versa.  Ce qui signifie aussi que le fils d’un chefcorbeau sera un aigle et ne pourra jamais succéder à son père. Seul un frère ou un neveu pourra reprendre le flambeau. Mais la tradition se perd. Bert qui est Haida de mère a épousé une « Eagle » et Dock Soup, qui est « Raven » vit avec  « partenaire » de la lignée des canadiens venus d’Europe.  Ainsi si va  le devenir du peuple Haïda qui s’efforce de conserver vivante sa culture.
Ils étaient près de 20.000 à vivre depuis des millénaires, dans le splendide isolement de Haida Gwai (un archipel formé de 400 îles dont les deux principales sont Graham au Nord et Moresby au sud).  A la fin du XIXème siècle, il ne restait plus là que 600 Haïdas. Les autres avaient été décimés par les maladies(variole, rougeole tuberculose) contractées au contact des Européen. Sympa de la part des civilisateurs, merci pour le cadeau!
Aujourd’hui la population Haïda s’est regroupée sur l’île de Graham, essentiellement – mais pas seulement – dans leurs villages historiques de Skidegate (prononcez Skidegit) et Old Masset où vivent en tout, plus 1500 personnes. En revanche, au sud de Moresby, devenu, le parc protégé de Gwaï Haanas, les villages abandonnés ont disparu sous un linceul de mousse.
Les maisons étaient alignées le long du rivage, de grandes maisons familiales construites avec d’énormes billes de cèdres, qui pouvaient accueillir une bonne trentaine d’ascendants et de descendants. Devant chacune d’elles était érigé un mât (il parait qu’il ne faut pas parler de totems), véritables carte de visite du clan, retraçant la, lignée, l’importance, les activités les hauts faits du chef de clan. Sans compter les mâts funéraires. A Skedans, ils étaient encore debout, en 1878, mais les tempêtes du Pacifique ont eu raison de ceux qui n’ont pas été transportés dans des musées et il faut ouvrir l’œil pour en trouver la trace dans une nature luxuriante qui a repris ses droits, lorsque les racines des arbres les enserrent pour mieux pousser par-dessus.
Dommage  d’avoir laissé ce patrimoine culturel disparaître? Pas du tout affirme Walter, le « watchman » (le gardien) du village disparu de Tanuu. Pour lui, tout doit retourner à la terre, au terme d’un cycle, dans cette nature dont les Haïdas se considèrent comme partie intégrante. Les humains, les animaux (êtres humains surnaturels), la terre, les eaux, les airs,  pour eux, tout est lié et interdépendant.
Le peuple Haïda qui est apparu sur une plage, libéré d’un coquillage par un corbeau, n’a pas besoin de musées à ciel ouvert pour affirmer son existence. Il veut simplement rester maître de ses terres d’origine et des ses somptueuses forêts qui ont été exploitées jusqu’à l’épuisement. Pour pouvoir préserver les derniers cèdres (ou thuya géant) millénaires qui furent pour eux l’arbre de vie.  Dans le bois duquel on creusait les puissantes pirogues (plus d’une vingtaine de mètres qui faisaient la terreur des autres tribus de la côte, l’arbre à tout faire : à construire, à tisser,  à sculpter, à colorer, à naître et à mourir dedans.

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