Haida Gwaii : entre fascination et perplexité

Nous voilà donc à Haïda Gwaii, au cœur même de la civilisation « indienne » de la côte pacifique…

Des îles où  la beauté, la force et l’harmonie du paysage sont légendaires… mais il faudra pour cela descendre au sud, dans Gwaii Haanas, le parc national, pour vraiment se plonger au cœur de la forêt originelle et mesurer son incommensurable richesse. Gwaii Haanas, cette réserve née de la révolte du peuple Haida contre l’exploitation forestière à outrance. Un mouvement non-violent devenu mythique, des barricades sur les routes forestières, un soutien bientôt international et au final la création du parc national en 1993.*

Et dont la « long house » construite pour abriter les manifestants témoigne encore.

Au musée de l’héritage à Skidegate, les maîtres sculpteurs s’activent d’ailleurs pour terminer le mât commémoratif (faussement appelé totem)  qui sera érigé le 15 août prochain sur le site du village disparu de Windy Bay, sur Lyell Island, là où justement tout a commencé.

La fête sera belle, la grandeur Haïda sera magnifiée, mais Sean, le « watchman » (le gardien) haïda de Windy Bay se réjouit déjà d’être absent ce jour-là… Pourtant il est fier que plusieurs membres de sa famille aient été sur les barricades… Etrange paradoxe… mais bien à l’image des sentiments qu’on peut ressentir au fur et à mesure qu’on se plonge dans Haïda Gwaii.

Pour l’heure nous naviguons entre Sandspit, Queen Charlotte et Skidegate, le cœur économique de l’archipel…

Visiter le magnifique musée, c’est découvrir les richesses artistiques et techniques des Haïdas, leur civilisation, leur culture. Un héritage, une civilisation « extrêmement sophistiquée » portée au nue par un Canada sans doute culpabilisé et désireux de se racheter. Une civilisation qui pourtant à la fin du 18ème siècle ne connaît pas l’écriture, bloquée dans sa transmission orales des connaissances par les limites de la mémoire humaine. Elle ne connaît pas le fer, et ses outils ne sont que des pierres ou des coquillages. Une civilisation isolée dans l’immensité de la forêt pluviale du nord-ouest américain et qui, faute d’échange, n’a guère dépassé le stade du néolithique. (Et dire qu’il y a encore aujourd’hui des politiques pour prôner le repli sur soi…). Une civilisation qui
pratique les razzias, les prises d’otages et l’esclavage (là, match nul avec les Européens !). Mais qui, dans ces limites, développe une grande
habileté et une organisation sociale et politique étonnante. Une sorte de monarchie démocratique et communiste. Si le titre de chef est héréditaire (frère ou neveu), il n’en reste pas moins que le chef doit faire preuve de ses capacités afin d’être admis ou démis par le conseil de bande. « Communiste » aussi par l’absence de propriété privée, les richesses accumulées étant distribuée à l’ensemble, gage de reconnaissance sociale.

Donc le Canada magnifie… en tout cas la civilisation… parce que pour le reste c’est plus compliqué…

_Le sol reste essentiellement propriété nationale même si les autorités de sa Royale Majesté ont  créé des réserves. Comme ces villages de Skidegate et d’Old Masset. On veut bien faire, on protège mais en fait on sépare… et on enferme… Et les innombrables actions en justice lancée par les « First Nations » pour récupérer leurs droits sur le sol sont pour l’heure encore toute pratiquement pendantes.

Si la nécessité pour le peuple Haïda de retrouver ses racines et sa culture (et tout d’abord sa langue, puisque pratiquement tous
ne parlent que l’anglais) est évidente et que cela passe par une fierté retrouvée, le défi toutefois pourrait vite devenir, une fois cette culture retrouvée, celui de savoir en sortir. Comme le mentionne Flavien, un jeune Français installé depuis 4 ans à Haïda Gwaii et fin observateur de ces îles, les plus actifs des Haïdas s’établissent désormais hors des villages-réserves. A l’image de Sean, le watchman de Windy Bay, anthropologue et archéologue, consultant indépendant, qui vit désormais à Queen Charlotte, la ville « blanche » située à 5 km de Skidegate. Car comme en Afrique trop souvent, toute réussite personnelle étant récupérée et absorbée par le clan (et aussi par ses parasites !) l’esprit d’initiative y est découragé. Dommage peut-être utopiquement parlant, mais la réalité est pragmatiquement bien celle-là.

Bref, en quittant Queen Charlotte City (sic ! pour 950 habitants) et Skidegate, l’esprit est davantage à la compassion qu’à la fascination…

Et la vision de cette population hélas aussi dramatiquement obèse (3/4 des personnes rencontrées, signe aussi d’une perte de repères) ne fait rien pour améliorer le tableau…

_

C’est donc un peu dubitatifs que nous faisons cap au sud vers le parc de Gwaii Haanas.

*A noter toutefois que le mouvement ne fut pas unanime, que beaucoup d’Haïdas travaillant dans la déforestation craignaient de perdre leur emploi ou les revenus économiques liés au logging, et que les militants écologistes venus du continent pour soutenir la cause furent accueilli avec méfiance, pour ne pas dire hostilité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.