Au doux pays des pipi shells

(Par Sylvie)

A première vue on se croirait de retour aux Tuamotu. Avec son collier de motu, hérissés de cocotiers, au ras du lagon aux mille tons de bleus, Penrhyn me fait penser à Raroia. Mais la Polynésie française est déjà bien loin. Ici, c’est déjà un autre monde. Maori-anglophone et vraiment isolée de tout. Dans les temps anciens, Penrhyn portait à juste titre le nom de « Tongareva », c’est-à-dire « sud d’un espace vide ». Rarotonga, la capitale de l’archipel des Cook se trouve à 1600 kilomètres. Penrhyn, c’est donc un – magnifique – atoll et deux villages, Omoka et Te Tautua, qui se font face, chacun à un bout du lagon, dans le désert du Pacifique. Lorsque nous arrivons à l’aube devant le « port d’entrée », d’Omoka, on ne voit pas âme qui vive. Juste un quai jonché de ferrailles qui doit voir arriver le bateau de ravitaillement toutes les morts de Pape, un hangar déglingué devant les réservoirs de fuel.

Quelques maisons construites visiblement de fraîche date au bord de l’eau mais surtout des murs écroulés, des toits défoncés et des habitations abandonnées. La moitié des 200 habitants du village ont émigré soit à Rarotonga, soit en Nouvelle Zélande (dont les citoyens des îles Cook ont pu conserver le passeport, après l’indépendance), soit encore en Australie. Peu de vivants, mais beaucoup de tombes. Dans le petit cimetière de la pimpante église comme dans les terrains vagues des jardins.

Nous passons devant l’école récente, où enfants en uniforme jouent dans la cour, puis devant ce qui est censé faire office de bâtiment administratif : deux petits « bureaux » ouverts sur une dalle de béton recouverte d’un toit de tôle. Les fonctionnaires ? Pas dans les bureaux, mais dehors, à l’ombre de la « terrasse », prêts à engager la conversation et à nous renseigner avec beaucoup de gentillesse. Envolée la première impression d’une terre inhospitalière. Tout le monde à Penrhyn est adorable. Comme Cristina, la boulangère – eh oui il y a une bakery à Omoka – qui nous avance deux chaises, sous sa tonnelle où trône son grand lit avec moustiquaire. Nous sommes entre sa maison et son four. Avec en point de mire, les tombes de ses parents, peintes en vert émeraude.

La boulangère est à court de farine, un bateau venant d’Hawaï devrait en livrer d’ici une ou deux ou trois semaines… mais Cristina pourra encore nous faire parvenir trois pains demain de l’autre côté du lagon où nous avons décidé de mouiller plus paisiblement.

Et de l’autre côté du lagon, il y a Te Tautua, village plus pimpant et bien vivant de 50 âmes L’accueil y est encore plus friendly. Tous les habitants sont occupés à ouvrir des « pipi shells ». Des petits coquillages locaux qui produisent des perles naturelles qu’Isam, l’Australien d’origine irakienne, mi mécène, mi Messie, achète à prix d’or.

Chaque fois que nous passons devant une maison, on nous invite à venir discuter, sans cesser le décorticage des coquillages. On nous offre de l’eau de coco, un café et on cause. De quoi ?…De la pêche miraculeuse aux pipi shells et du prix de la perle, bien sûr. Car d’un bout à l’autre de l’atoll, c’est le pipi shell rush, la ruée fort lucrative vers les mini-nacres du lagon. On travaille en famille, jeunes, vieillards, tout le monde s’y met.

Le dernier né de Te Tautua- quatre mois et pas encore de dents – passe des bras de sa mère à ceux de son grand-père et le plus clair de son temps sur la moto de son hâbleur de cousin qui lui fait faire le tour du village jusqu’à ce qu’il s’endorme. Mais attention, le dimanche, tout s’arrête. C’est le couvre-feu, entre les trois services religieux de la journée qui font à chaque fois le plein de fidèles, c’est-à-dire tout le village. Nous avons partagé avec eux celui de 10 heures : chants polyphoniques, chapeaux fleuris et robes multicolores pour les dames, vestons trop grands ou trop petits pour les hommes, d’où dépassent des pans de chemise à fleurs et des pantalons tirebouchonnant sur les tongs. A peine l’office terminé, tout le monde rentre chez soi, sans se dire un mot. Sauf le « Ministre » – du culte -, qui nous a aimablement conviés à une collation (c’est-à-dire un déjeuner pantagruélique), à l’issue de laquelle il tombe instantanément en état de sieste avancé. A Penrhyn, figurez-vous que c’est Pâques tous les jours. Les enfants sont chargés d’aller récupérer dans le bush, les oeufs que les poules pondent au gré de leurs pérégrinations. Pour ce qui est de manger la volaille, les habitants préfèrent le poulet surgelé qui leur parvient par bateau tous les 2-3 mois quand tout va bien et qu’ils conservent dans des énormes congélateurs. C’est plus simple…du moment qu’on a l’argent. Car autant on se montre empressé autour des pipi shells, autant on rechigne à se fatiguer pour les activités non rémunératrices, comme la plantation de quelques légumes où le plumage d’un poulet. « We are too lazy ! » Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Johncy. Et ça le fait franchement marrer.

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