Un atoll au bout du monde

L’ancre est tombée déjà depuis un bon moment juste devant Omoka, la « capitale » de Penrhyn et pourtant rien ne bouge. On a juste envie de crier : « Y’a quelqu’un ? »

D’accord, il est encore tôt, à peine 7 heures du matin, mais en Polynésie d’habitude tout commence bien avant 6 heures. Ici, pourtant, pas âme qui vive, du moins en apparence. C’est vers 6 heures du matin que nous avons franchi la passe après une nuit à la cape à l’abri de l’atoll.

Passe facile même si une partie du balisage a disparu. Et le mouillage devant le village, complètement exposé au vent est acceptable avec la quinzaine de nœuds qui souffle ce matin. Ce n’est finalement que vers 10h00 qu’une barque de pêche amène Ru, le responsable des douanes et de l’immigration. Le temps de remplir quelques formulaires, de savoir qu’avant de partir il faudra payer approximativement 230$ NZ ou US à choix (65$ de frais de formalités, 2×65$ de taxe de départ, 2$/jour de mouillage et 20$ de frais d’inspection sanitaire) et nous reconduisons Ru à terre avec notre dinghy. Il nous autorise à visiter le village, même si nous devront encore attendre le responsable sanitaire, en mission de l’autre côté de l’île. La première impression c’est un peu « ghost town » avec ses innombrables maisons abandonnées.

Mais la gentillesse des gens nous fait vite oublier cette impression. Vers 14 heures, le responsable sanitaire arrive pour son inspection. Je sens qu’il n’est pas très content de notre escapade terrestre. C’est que, nous l’apprendrons plus tard, il vient de recevoir un mail de la capitale, demandant de retenir à bord les « yachties » en provenance de Tahiti pour s’assurer qu’il ne sont pas porteurs du chikungunya, cette fièvre transmise par les moustiques, qui vient d’atteindre la Polynésie. Mais « le mal » étant fait, il nous laisse donc lever l’ancre pour traverser le lagon alors qu’il va bloquer 2 jours durant un voilier arrivé juste après nous.

Vu l’isolement de l’île, on peut le comprendre. Ici, à part quelques rares voiliers en juillet et en novembre, personne ne passe. Personne ne voyage ou presque. La ligne aérienne hebdomadaire vers Rarotonga la capitale est un vieux souvenir. Aujourd’hui les vols se font sur demande uniquement et le prix du billet est de 1800$ aller simple ! Autant dire pratiquement jamais. Reste le bateau qui ravitaille l’île tous les 2 à 3 mois quand tout va bien. Là le billet est à 600$ ! Bref, la plupart des habitants ne quittent jamais leur atoll ou, trop souvent, pour un aller sans retour. Seule exception, les membres du groupe de danse traditionnelle qui, chaque année en juin, se voient offrir un voyage gratuit à Rarotonga pour les fêtes traditionnelles.

Penrhyn, prison dorée ? Ce pourrait être l’impression qu’on en retire. Mais étonnamment à Te Tautua, le village du côté Est de l’atoll, tout le monde est heureux de vivre et l’exode ne semble pas aussi important qu’à Omoka. (Quand on y regarde d’un peu plus près, on constate toutefois qu’il n’y a guère de jeunes adultes. Beaucoup d’enfants sont élevés par les grands- parents alors que leurs parents sont allés chercher fortune ailleurs). Ce qui frappe, c’est la simplicité de la vie, on se contente de peu. On est bien obligé vu la difficulté d’obtenir matériel ou ravitaillement. Pourtant l’argent ne manque pas, un tiers des habitants sont plus ou moins employés par l’Etat, et surtout il y a Isam. le « Tonton Cristobal » de l’île.

Isam, un ingénieur irakien ayant fuit son pays lors de la première guerre du Golfe, pour s’installer en Australie et devenir marchand de perles naturelles. Deux fois l’an il passe une quinzaine de jours à Penrhyn pour y évaluer et acheter la récolte. C’est plus de 200’000 $ qu’il laisse cash chaque année dans l’atoll. Une vraie pêche miraculeuse dont on peut juste se demander combien de temps elle durera, vu la razzia qu’elle provoque sur les champs d’huîtres. Des milliers sont arrachées et ouvertes chaque jour. « Pas de soucis » dit Isam, qui est justement de passage « les huîtres, il y en a bien assez dans cet immense lagon ».

Si Isam le dit ! Isam, personnage solaire à la Jack London, par ailleurs peintre de talent. Il nous montre les photos de ses toiles sur son I-phone. Il a même réalisé l’une de ses œuvres directement sur le mur du salon de la maison du pasteur, peignant même le cadre en trompe l’oeil. Un peu à l’image de cet atoll où tout semble à la fois magnifique mais aussi irréel.

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