Au cœur du Parc de la Paix à Hiroshima, un petit monument détonne avec les œuvres monumentales dédiées collectivement aux victimes de la bombe et à ceux qui leur sont venus en aide. Un bloc de granit poli recouvert d’une plaque en bronze, pour célébrer nominativement un homme considéré ici comme un bienfaiteur : le docteur Marcel Junod.
En 1945 Marcel Junod est délégué du CICR. Au terme d’un voyage rocambolesque via la Sibérie soviétique, il arrive à Tokyo quelques jours après l’explosion de la bombe d’Hiroshima. Très vite il obtient une place dans un avion de l’US Air Force qui emmène à Hiroshima des spécialistes américains chargés de mesurer les effets de cette première bombe atomique. Ce qu’il découvre sur place le laisse horrifié : la situation des survivants est catastrophique, il n’y a pratiquement aucun matériel médical pour venir en aide aux dizaines de milliers de blessés et de brûlés.
De retour à Tokyo, Marcel Junod fait immédiatement le siège du commandement en chef des troupes américaines où le Général MacArthur vient de s’installer au lendemain de la capitulation. Et il fini par obtenir des Américains 15 tonnes de matériel de premier secours et de médicaments qu’il fait immédiatement transporter à Hiroshima. Sur place il s’implique personnellement dans la distribution et l’aide aux blessés. Il est ainsi le premier et le seul étranger à se soucier des victimes.
Cela, les habitants d’Hiroshima ne l’oublieront jamais et aujourd’hui encore, chaque année, une cérémonie est organisée devant le petit monument par la « Société des Amis de Marcel Junod »
Vénéré au Japon, le docteur Junod est pratiquement inconnu en Suisse, comme je le constate en 2002 lors d’un reportage sur les traces des célébrités suisses au Japon. Il y a Heidi bien sûr et ses dessins animés qui passent et repassent sur les chaînes de TV nippones, il y a aussi Pestalozzi dont la ville de Kagamino vénère le souvenir en ayant fait installer une copie conforme de la statue du pédagogue qui trône à Yverdon. Et il y a Marcel Junod que je découvre sur les bons conseils de Georges Baumgartner, le correspondant de la Radio Suisse Romande à Tokyo (une célébrité suisse en soi !). L’occasion aussi de rencontrer Yukio Yoshiyama, traducteur retraité parlant français et survivant de l’explosion, lui qui avait 11 ans à l’époque. Son témoignage diffusé en français sur les ondes de la RSR marque alors de nombreux esprits.
De retour en Suisse, contact est pris avec son fils Benoît qui vit à Genève et s’étonne lui aussi de l’oubli dans lequel est tombé son père. Avec l’aide de Sylvie, alors Directrice des Affaires Extérieurs du Canton de Genève, nous suggérons au Conseiller d’Etat Carlo Lamprecht de faire quelque chose pour le 60ème anniversaire de la bombe qui approche.
C’est ainsi que trois années plus tard sort un livre « Soixante ans après » écrit sous la direction de l’historienne Erica Deuber Ziegler (Ed. Labor et Fides) qui sera largement distribué dans les écoles genevoises.
Parallèlement, un monument est inauguré à Genève, dans les jardins du Musée de l’Ariana, juste en face du siège du CICR. Un monument où figure la réplique de la plaque commémorative du Parc de la Paix d’Hiroshima. Une manière de démentir le proverbe qui dit que « Nul n’est prophète en son pays »
Et enfin, pour couronner le tout, Manuel Tornare, le maire de la ville nous demande d’inviter Yukio Yoshiyama à Genève pour les « Promotions citoyennes ». L’occasion pour Yukio de témoigner devant un millier de jeunes de 18 ans accédant à la citoyenneté genevoise. Une rencontre bouleversante durant laquelle on aurait entendu une mouche voler et qui se termine par une courbette à la japonaise, tous les jeunes debout s’inclinant devant Yukio qui s’incline à son tour, les larmes dans les yeux. Le tout se terminant dans une longue « standing ovation ». Inoubliable !
Pour en savoir plus :
-« Le troisième combattant », les mémoires de Marcel Junod, Ringer, 1947 et CICR 1989
-« Soixante ans après » sous la direction d’Erica Deuber Ziegler, Labor et Fides, avec un CD comprenant le témoignage de Yukio Yoshiyama recueilli par M. Decrey et une interview de Marcel Junod datant de 1946 (© RTS)