Gambier : L’héritage de Laval

Du sommet du Mont Auorotini l’île de Taravai attire immédiatement le regard. On peut y apercevoir une grande église blanche, quelques maisons et un mouillage abrité derrière une barrière de corail.

Le soleil étant revenu, nous avons donc décidé d’y jeter l’ancre.

A terre nous découvrons vite qu’il n’y a que 3 habitants permanents, dont l’un, Jean, nous accueille dans son jardin situé juste à côté de l’église St Gabriel. Sa maison est un ancien édifice en pierre de corail qu’il est entrain de retaper. Un édifice construit au 19ème siècle par les pères missionnaires catholiques Laval et Caret. L’occasion de mesurer le rôle joué par l’église catholique dans l’archipel.

C’est en 1834 que les pères français Laval et Caret débarquent à Mangareva, 37 ans après sa découverte par les Anglais. Très vite, ils évangélisent à tour de bras. Il crée une véritable théocratie dans l’archipel, impose un code « mangarévien » basé sur une morale très stricte et surtout, ils sont pris d’une vraie frénésie de construction : pas moins de 116 édifices : chapelles et églises dans chaque île, école catholique et l’immense cathédrale Saint-Michel. Et pour bien marquer la supériorité de l’église catholique et effacer toutes traces des anciens cultes, ils bâtissent leurs églises sur les emplacements des maraé, les anciens lieux sacrés polynésiens. Si aujourd’hui encore le poids de l’église catholique est important, il ne plaît plus à tout le monde.

C’est le cas de Jean : « Vous vous rendez compte, nous dit-il, nous allons bientôt recevoir la visite d’un archéologue américain qui vient rechercher les traces de nos anciens maraé. Les pères ont tout effacé, en menaçant, en culpabilisant. Donne 5 enfants à l’église et tu seras sauvé… Pourquoi ils ont fait ça ? On aurait bien pu mélanger le christianisme et nos croyances, non ?» Et comme nous nous étonnons de la taille de l’imposante église construite sur cette minuscule île, Jean de continuer : « Pas étonnant… taille une pierre pour l’église et tu iras au paradis… Les gens y ont crû ! »

Jean est aujourd’hui retraité, il a, comme beaucoup d’autres habitants des Gambier, travaillé sur l’atoll de Mururoa, distant de 450 km à peine. Ils étaient engagés par l’armée française pour construire le CEP, le centre d’expérimentation du Pacifique, base des essais nucléaires français jusqu’en 1996. « Durant les explosions souterraines, tout l’atoll tremblait… mais on restait sur place ». Il ne sait pas s’il a été contaminé, « la maladie vient souvent très longtemps après… ». Mais désormais, dans la mairie des Gambier et celles des Tuamotu, une liste des maladies (cancers surtout) donnant droit à des indemnités est affichée. Le résultat récent d’une longue et âpre bataille avec le gouvernement français.

Autre rencontre, celle de Valérie et Hervé. Avec le plus jeune de leurs deux enfants, ils vivent dans l’ile depuis 12 ans. L’ainé est en France engagé dans l’armée de l’air.

Ils vivent ici en quasi autonomie. Hervé pêche, chasse la chèvre et le cochon sauvage, piège les poules en liberté (comme toujours en Polynésie). Il stocke le tout dans un grand congélateur alimenté par des panneaux solaires avant d’aller le vendre à Rikitea. Valérie s’occupe du jardin où poussent salades, concombres, aubergines, tomates, etc… Contrairement aux Tuamotu, la terre volcanique est ici très fertile et l’eau ne manque pas.

Valérie qui est aussi artiste. Sa spécialité : la peinture sur sable. Elle fait de magnifique fresque qu’elle vend aussi bien à Tahiti qu’en Europe.

Alors que les jours de pluie se succèdent, Valérie et Hervé seront pour nous les soleils de Taravai, nous apportant légumes et poulet. C’est aussi Hervé qui, revenant de bon matin de Rikitea où il a déposé son fils pour une nouvelle semaine d’école (il vit alors dans la famille d’Hervé) s’arrête pour nous donner une baguette bien fraîche qu’il a pensé à prendre pour nous faire plaisir.

L’île de Taravai, Jean, Valérie et Hervé, sont comme un condensé. Avec leur gentillesse, leur sourire, leur accueil chaleureux, leur vie simple, habitués à l’isolement, ils forment une sorte de Gambier miniature

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