Katiu ou l’impossible rêve écolo

(Par Sylvie)

Nous n’avons pas trouvé de légumes à Katiu, ni de wi-fi. Mais nous avons trouvé Léontine, Léa, Naumi, Bill, Ange et les autres. Accueillants et chaleureux, ils nous ont fait pendant quinze jours une petite place dans leur quotidien. Comme toujours, lorsque de belles rencontres s’achèvent, j’ai le spleen. Mon cœur se serre lorsqu’à 5 heures du matin, certains d’entre eux viennent nous dire adieu sur le quai, avec colliers de fleurs et de coquillages. Nous partons et ils vont rester là, dans leur paradis turquoise qui à la longue devient la couleur de l’ennui et de l’immobilisme.

Katiu, niché dans son lagon aux reflets célestes, ceinturé de corail rouge, défendu par une passe dont l’étroitesse rebute les touristes. Katiu, un motu de moins de 10km de long et 200 mètres de large, avec dessus 250 habitants ( le double de chiens), 10 voitures, la mairie, l’église, la poste, deux petites épiceries chroniquement anémiques, un mini aéroport pour les deux avions qui chaque semaine collecte un peu de fret (et parfois un passager) dans les atolls et un quai, dans la passe, pour le ravitaillement, une fois par mois.

A Katiu, peu d’habitants sont branchés sur le réseau internet. On boit l’eau qui tombe du ciel, on utilise l’énergie solaire, on roule volontiers à vélo et on mange – dès le petit déjeuner- les poissons du lagon que les hommes passent leur journée à traquer au fond de l’eau. Chaque famille ou presque à son piège à poisson, en face du village ou au secteur (entendez de l’autre côté du lagon), non loin des cocoteraies dont on peut tirer quelques sacs de coprah. Poisson et coprah, sont les deux mamelles de Katiu. On les exporte une fois par mois vers Tahiti (la poiscaille congelée, bien sûr), quand passe la goélette, véritable bazar flottant, où l’on peut troquer le nason, la loche et le perroquet contre des cuisses de poulet, des légumes, des bananes ou des mangues.

Le dimanche à Katiu, après la messe et la sieste quotidienne, les femmes et les enfants vont chercher des coquillages sur le récif, avec lesquelles, elles confectionneront avec une infinie patience, de magnifiques colliers ou autres objets décoratifs. Dans les jardins, on gratte un peu de yukulélé. C’est ainsi que Léa se détend, après une semaine passée à enseigner à l’école primaire (équipée d‘une salle informatique et d’un beamer) où nous allons « montrer » le Grand Nord aux élèves, puis aux habitants curieux.

Katiu, c’est l’idéal de frugalité et d’autarcie ? Le nirvana du bio, l’harmonie entre l’homme et la nature, le top du bilan carbone, le zéro de l’impact sur l’environnement ? Evidemment à 250, l’empreinte est limitée. Mais l’isolement à tout de même un coût énergétique et social. Exemple, quand viennent les vacances, le ramassage scolaire se fait en avion depuis Makemo, Hao ou Tahiti où les jeunes doivent s’exiler dès l’âge de 11 ans, pour suivre le cursus scolaire. Au frais des collectivités publiques, heureusement. Même à l’échelle de Katiu, la pêche pour être commercialisée, nécessite une congélation énergivore de même que les denrées périssables importées. C’est la raison pour laquelle, aux panneaux solaires (dont l’achat a été encouragé), les habitants de Katiu préfèrent désormais le groupe électrogène installé par la commune qui leur permet d’avoir du courant, 24h sur 24 (bon pour les frigos, mais aussi pour la télé, le soir), en utilisant 200 litres de Diesel par jour.

Sur les motu au sol souvent salin, les légumes poussent rarement. Les trois ou quatre cochons de Katiu n’ont pas grand-chose à se mettre sous le groin et le poulet congelé semble plus prisé par les habitants que la volaille de basse-cour. Tous les produits qui arrivent à Katiu coutent bonbon et même si les revenus de la majorité de la population sont plus que limités, les canettes de bières et de soft drinks s’amoncellent dans la décharge communale, avec les boites de conserve et les autres déchets, recyclables ou non. Faire le tri, recycler à Tahiti ? Trop loin, trop cher. Alors pour l’heure, on brûle. Les ordures, comme les rêves de paradis perdu.

En clair, l’économie, même frugale, a désormais des impératifs peu compatibles avec l’écologie. Alors l’urgence écologique c’est de préserver le lagon (qui n’est pas contaminé par la ciguatera), garde-manger des habitants de Katiu, mais aussi source de revenus. Mais est-ce suffisant ? Les jeunes comme Ange, sa compagne Faahei et leur petit garçon de 2 ans, n’auront-ils que ce lagon pour tout horizon ? Quel avenir Katiu peut-il leur offrir ? Léa est catégorique « aucun ».

Concilier isolement, bien-être matériel, éducation et idéal écologique ? Etérnel défi.

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