La favela des artistes

(Par Sylvie)

De loin, ça ressemble à un jeu de Lego. Des cubes aux couleurs pastelles, disposés en terrasses sur le flan de la colline. Les Coréens l’ont surnommé  le Machu Picchu ou le Santorin de Busan.

Mais dégringolant des hauteurs qui dominent les gratte-ciel de la ville,  le quartier de Gamcheon-dong, tient tout autant d’une favela de Rio.

D’ailleurs ce fut une sorte de favela, lorsque durant la guerre de Corée (1950-1953), des dizaines de milliers de réfugiés affluent vers Busan. Parmi eux, Cho Je-chol, fondateur du mouvement religieux Taeguk do  – qui signifie l’unité entre le Yin et le Yang figurée sur le drapeau de la République de Corée – . Il appelle ses fidèles à le rejoindre et s’installe avec eux dans le centre de Busan déjà surpeuplé.  En 1955 la communauté accepte donc volontiers l’offre qui lui est faite par les autorités de se déplacer à Gamcheon, où coule une source d’eau que l’on dit très pure. Elle se met au travail. Cho Je Chol impose des règles de construction. Aucune maison ne doit empêcher l’autre de voir la vue, tout en laissant des espaces à la circulation.

Victime du choléra, vivant dans la pauvreté la plus absolue, sans électricité ni eau courante jusqu’à la fin des années soixante, la communauté Taegeuk survit tant bien que mal  autour de son temple et de l’école qu’elle a elle même fondée. C’est finalement l’afflux de nouveaux arrivant qui aura raison d’elle. Néanmoins le village de Gamcheon-dong lui a survécu, presque tel quel, sans jamais intéresser les promoteurs immobiliers pourtant friands de vues panoramiques. Et ce sont les artistes qui ont pris le relais. En 2009, ils ont reçu carte blanche pour réhabiliter le quartier à leur guise, y habiter et y exposer leurs œuvres.

C’est ainsi que Gamcheon s’est transformé haut lieu touristique. On s’y promène comme dans un labyrinthe, de venelles en escaliers.

On s’y perd même, si l’on veut éviter les visiteurs en troupeau qui suivent la direction indiqué par des poissons.

Mais excédés de voir passer quotidiennement des milliers de touristes, devant leur pas de porte, les habitants préfèrent prendre la fuite et on les comprend. Trois cents d’entre eux ont paraît-il déjà quitté les lieux, laissant leur petit Lego à l’abandon. Dommage que cette belle initiative tourne court pour s’abîmer dans le tourisme de masse. N’empêche, avons été très heureux de pouvoir encore découvrir la créativité des artistes  anonymes de Gamcheon.

Et puisqu’on parle d’artistes coréens, je ne résiste pas au plaisir de partager une autre découverte : celle, au musée d’art de Busan (merci Cho, merci Menbal de nous y avoir amenés), de Lee Jung Seob (1916-1956). Un artiste maudit qui a su opposer aux guerres et aux destructions de son pays, un œuvre touchante simplicité de sincérité et d’humanité. Outre ses huiles dessinées, il a laissé à la postérité des dessins gravés sur le papier d’argent des paquets de cigarettes.

Des volutes de douceur à la mémoire du paradis perdu.  Car Lee est mort  (1956) sans le sou et sans avoir pu rejoindre autrement qu’avec ses desseins, sa femme et ses deux fils partis au Japon après la guerre.

Lee Jung Seob, « Les enfants et la poire », huile et crayon sur papier

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