Les naufragés de Fanning

(Par Sylvie)

Chamade est ancré devant l’épave d’un remorqueur échoué il y a des années sur un banc de sable.

Une métaphore de ce qui nous attend à terre ? Des huttes sur pilotis, avec leurs toits en feuilles de pandanus, le temps, lui aussi suspendu, au- dessus des nattes qui appellent à la position horizontale une bonne partie de la journée.

Le souffle du vent dans les cocotiers lourds de noix que les humains disputent aux rats. Les cris des enfants (sans-doute un bon tiers des habitants de l’atoll) qui jouent à demi-nus sur les pistes poussiéreuses, avec des bouts de planche et des sortes de grosses noix. Ils risquent davantage de heurter un porcelet ou d’écraser une poule que de se faire renverser par un véhicule.

Car à Fanning, il n’y a pas de voiture. Juste deux trucks – dont celui du pasteur qui s’occupe du ramassage de ses ouailles quand il faut les réunir -, des vélos et quelques mobylettes pour familles nombreuses. Sans oublier le tracteur de Tyron, le seul-business man du lieu.

C’est lui qui tient les quelques échoppes de l’atoll, fait commerce avec les îles lointaines et transforme, trois fois par semaine, la cour de sa maison en pub où les hommes viennent se shooter au kava. Seuls ou entre amis. A quoi rêvent-ils, le regard perdu dans leur breuvage couleur thé au lait ? A un avenir meilleur ? Pas sûr. Le « pub » de Tyron évoque immanquablement les fumeries d’opium… Normal. Fanning a déjà un avant- goût d’Asie. D’Asie profonde. D’Asie du dénuement.

Sur la rive du lagon, dans la cour des habitations qui bordent la piste, des tas d’algues qui s’amoncellent laissent entrevoir une activité. Des hommes, de l’eau jusqu’à la ceinture, s’occupent de la récolte de la ferme où l’on cultive les « seaweed », dont Maniak remplit des paniers. Penrhyn vit de ses pipi-shells et de leurs perles, Fanning se contente des algues séchées et compressées destinées au marché de l’agro-alimentaire chinois. La marchandise est stockée dans un vieux hangar en attendant le bateau qui viendra la chercher dieu sait quand. « Good price », nous affirme Maniak qui, comme la presque totalité des habitants, baragouine trois mots d’anglais scolaire.

Nous trouvons une famille qui fait boulangerie tous les jours. 2 dollars, – us ou australien, c’est du pareil au même- un pain légèrement sucré, avec en prime quelques charançons rôtis. Mais bon. Faut pas trop en demander. Kopoe, lui nous vendra pour 5 dollars deux carangues, hautement gastronomiques une fois apprêtes par Marc, avec une sauce vanille. Un peu de seaweed, un peu de coprah pour acheter le riz, le poisson du lagon, les cocos et quelques papayes pour se nourrir au quotidien. La volaille et le porc pour les repas de fête.

Des écoles pour instruire, à même le sol sans table, sans tableau ni aucun matériel, l’innombrable progéniture qui, sans doute, ne quittera jamais l’atoll. Si nous n’avions pas aperçu des jeunes gens jouer au vidéo-foot sur l’écran d’une vieille TV portable et quelques habitants se partager l’unique wi-fi du « bâtiment administratif » , on se croirait de retour au 19ème siècle. Mais apparemment, ce peu ou ce rien suffit aux besoins (et au bonheur ?) des habitants de Fanning. Ok. On ici, on ne reçoit pas la télé. Il n’y a pas de téléphone, ni fixe, ni portable, seul un radiotéléphone est relié à Christmas. Pas d’électricité non plus, chacun doit se fabriquer son propre courant pour autant qu’il puisse se payer un panneau solaire avec son porte- monnaie vide. L’eau vient du ciel ou des puits, filtrée par le corail. Et si on tombe gravement malade, on meurt, parce qu’il n’y a pas d’avion pour t’ « évasaner » (comme disent les polynésiens) et qu’il n’y a qu’une infirmière qui tentera de consulter un médecin à Christmas par radio-téléphone. Mais peut-on aspirer à autre chose lorsqu’on naît naufragé sur un atoll abandonné au milieu du Pacifique ? Allez savoir ! Les gens sont-ils heureux à Fanning ? « Qu’est-ce que c’est que le bonheur ?» nous questionne Jackin.

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