
C’est un ban de dauphins qui nous ouvre la route vers Bahia Tortugas. Une bonne journée de navigation et nous voilà encrés en face du restaurant Enrique qui visiblement n’est qu’un nom sur un mur. Demain nous irons à terre pour voir ce qu’est devenu la bourgade de Tortugas dont je garde très peu de souvenirs. À part un jeune homme un qui faisait du rodéo à moto sur la plage et l’église.

Nous ne sommes pas fâchés à l’idée d’aller nous dégourdir les jambes. Petit problème, le ponton sur pilotis qui nous permettrait d’accoster en dinghy nous paraît inaccessible. Bien trop haut pour débarquer. Pas question non plus d’accéder par la plage, comme la dernière fois. Nous serions roulés dans les vagues qui déferlent. La mer ne veut pas nous lâcher pour que nous allions à terre.
Heureusement, il y a Enrique dont on nous dit, sur notre carte Navionic, qu’il peut non seulement fournir du fuel mais aussi jouer les passeurs pour un dollar. Il suffit de l’appeler à la VHF Sur le canal 16.
On nous répond qu’Enrique est en ville, qu’il nous faut patienter un momentito. Un momentito mexicain … Une demi heure plus tard, c’est Enrique Jr qui se présente au balcon de Chamade pour nous conduire à une échelle rouillée qui pend du ponton à un mètre au-dessus de nos têtes ( nous sommes à marée basse). C’est parti pour un numéro d’acrobatie que nous exécutions avec une relative dextérité. Avant de nous retrouver sur le tablier branlant du ponton qui sert de lieu d’aisance aux pélicans et autres oiseaux du coin.


Le front de mer de Tortugas n’est pas tout à fait digne de la publicité qu’en font certaines agences de voyage. À croire que les ambitions touristiques du village ont été douchées par le Covid ou par mépris des habitants pour les lois du marché capitaliste. Beaucoup de ruines et de taudis en bordure des pistes qui quadrillent le quartier. Mais aussi quelques habitations aux façades colorées qui, derrière leurs murs d’enceinte, semblent cacher une certaine opulence. Une mixité de richesse et de pauvreté détonante. Au pied de la montagne où s’étend la partie de Tortugas invisible de la mer, il existe, paraît-il une route asphaltée et deux stations services Pemex, mais ici on ne voit que des ruelles non asphaltées. C’est sans doute pour ça que les 3000 âmes de cette bourgade, ont ostensiblement raccroché les vélos pour la voiture.


Boire ou conduire, c’est tout choisi. Dans cette bourgade sensée vivre de la pêche, on préfère conduire. Et pas n’importe quelle bagnole. Nous voyons passer de gros pickup japonais ou américains. Certains rutilants d’autre moins. Mais tout même, il faut avoir quelque moyens pour s’acheter et nourrir de tels monstres. Et l’argent ne se pêche pas dans la mer. À la sortie de l’école les jeunes gens s’amusent à faire des tours de pistes entre les maisons décaties, soulevant des nuages de poussière

Existe-t-il d’autres lieu de loisirs à Tortugas? Un restaurant, par exemple. On nous indique le Moroco, seul restaurant ouvert dans le coin, potentiellement fournisseur de poissons et d’un wifi. Décor décadent, avec la télé allumée de dessins animés, pour le petit garçon de la patronne qui nous sert des bières sans sourciller. Le poisson est délicieux, bien meilleur que le malheureux wifi issu d’une 2 G évanescente.

Quand nous retournons au ponton, Enrique Jr est ponctuel au rendez-vous. Nous lui demandons pourquoi tant de maisons abandonnés, de murs écroulés (seule l’église est en réfection) et ce ponton non entretenu tout à fait stratégique pour son business? N’a-t-il jamais songé à le retaper ? Enrique Jr. tombe des nues. Il n’a pas le sentiment que son village est à l’abandon. C’est vrai que des habitants s’en vont travailler à Ensenada, certains reviennent dans leurs maisons, d’autres pas À part ça, le jeune homme nous affirme qu’il se trouve très bien dans son village de pêcheur, avec son ponton, tel qu’il est et qu’il n’est jamais venu à l’idée de personne de retaper. Parce que, sans doute, dans sa mentalité de pêcheur, le bonheur passe avant le business.

Ce n’est certainement pas la meilleure halte faite. Heureusement que les dauphins vous ont offert un joli comité d’accueil.