Prince William Sound: L’arche de Noé

(Par Valérian Terraneo)

Il pleut sur Waterfall Bay ( la toponymie des lieux laisse imaginer l’humidité qui y règne). Un point blanc flotte, effilé, se distinguant du brouillard et des pointes dévêtues des pruches.

Un glaçon à la dérive? Non, c’est autre chose que nous avons là. C’est une arche de Noé contemporaine.

À bord vivent cloîtrés cinq animaux du genre humain, qui n’en sont pas moins digne d’intérêt.

Regardons-y de plus près. Tous sont différents. Pourtant quelque chose les rassemble: le goût de l’aventure, l’attrait pour ce qui se cache derrière ce caillou, puis cette île, puis cet océan. Cette curiosité infantile qui permet de redéfinir chaque jour notre environnement. Cette même curiosité qui sans doute amena cinq siècles plus tôt James Cook dans le dédale des fjords du Prince William Sound.

Mais posons-nous la question de la vie à bord. Que peut-on bien faire avec autant de temps de cerveau disponible loin du réseau 4G salvateur et du divertissement massif?

J’ai ouï dire que les plus fous d’entre eux y vivent depuis douze ans, et ce dans la joie!

Intéressons nous donc au tropisme de cette fascinante espèce. Certains ethnologues ont recueilli des témoignages nous permettant de dresser le portrait type d’une journée pluvieuse parmi cette communauté vivante, dite chamadienne.

Les caprices naturels, ainsi que les marées déterminent l’heure de leur réveil. Aujourd’hui ce sera vers 9 heures. Ce sera d’abord l’odeur du pain grillé qui envahira la cabine, puis le capitaine, rompant avec l’archétype du capitaine brutal enlaidi par des années d’exposition à l’air salin, vous réveillera d’une voix douce. « Petit-déjeuner ».

Vous serez surpris des ressources qu’offre ce microcosme. On y trouve toujours de quoi se sustenter.

Vestige de leur origine sédentaire, vous découvrirez avec surprise une pâte brunâtre appelée Cenovis, prétendument comestible, rappelant l’hégémonie du mauvais goût des Helvètes.

Impossible cependant d’attribuer une origine à ces êtres d’exception: en effet, une multitude de trésors, statuettes ou livres issus des 5 coins du globe nous mènent en bateau. De cette diversité tient l’histoire de ces nomades. Ici, on vit le voyage physiquement d’une part,  par le récit d’autre part.

Mais nous nous éloignons du rivage: revenons-en au déroulement de notre journée.

Après leur repas, les capitaines jugeront s’il est judicieux de lever l’ancre.

Dans le cas contraire, place à la plage de lecture. Là encore on voyagera à travers les écrits des deux capitaines, et à travers les siècles par d’autres auteurs assoiffés de découvertes.

Au travers des films documentaires de Chamade nous changeons de latitude, passant ainsi du Spitzberg à Bora-Bora entre l’apéro et le dîner  Alors le temps, notion qui devient abstraite et filante sur ce navire, s’écoule. La luminosité quasi constante en été, puisque proche du pôle, brouille notre notion établie d’espace temps.

Le soir, les drisses et cordages carillonnent sur le mât, tandis que la pluie donne le rythme au son du vent qui fait danser le bateau.Il paraît qu’il existe une mélodie plus belle encore: celle du silence. L’acuité des sens est dans ce milieu naturel un avantage. Entendre le craquement des coquillages sous les mâchoires sympathiques des puissantes loutres.

Voir l’aigle surfer sur les thermiques. Sentir cet air iodé, respirer la mer. Toucher l’écorce, le rocher. Goûter aux prenants plaisirs de la balade dans le bush.

Tel est l’Alaska, seul désert où l’on ne meurt ni de chaud, ni de soif.

Une terre de superlatifs: le soleil y est plus intense, la fraîcheur parfois glaciale, le sauvage plus sauvage encore.

Chanceux sont ceux qui jouirons de tels émotions à travers le regard et l’humour de la communauté chamadienne, où l’on y vit, paraît-il, fous, et heureux.

MERCI!

Valérian

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.