Attention, l’addiction au sashimi nous guette. Après False Pass ce sont les pêcheurs de Sand Point qui se sont mis en devoir de nous nourrir gracieusement d’un saumon dont la chaire crue fond dans la bouche. Vu la taille du poisson, c’est devenu notre nourriture pendant deux jours. De quoi rendre jaloux le Steller (sorte d’énorme lion de mer) qui a pris le port pour son garde manger. Il souffle comme un phoque, plonge son long corps d’anguille poilu et hop ressort la tête hors de l’eau avec dans la bouche un poisson que tous les mouettes et les goélands viennent lui disputer âprement.
Heureusement il y a la police du port : un aigle et ses auxiliaires. Perché sur le gréement d’un bateau de pêche, il fait bonne garde prêt à intervenir promptement pour régler les différents entre les volatiles et la mammifère marin. En piquant, si possible au passage sa commission de sashimi encore frétillant.
Outre la compagnie d’un monstre marin, des aigles et autres oiseaux de castes inférieures, nous avons aussi brièvement fréquenté des bipèdes à Sand Point : par exemple le 4 juillet, lorsque la fête de l’indépendance battait son plein devant un public plus que clairsemé, près du mess de la pêcherie. Nous avons pu constater à l’occasion d’un karaoké, que le personnel philippin (à moins que ce ne soit des Aléoutes, cherchez la différence…), n’est pas aussi doué pour le chant que pour le conditionnement du poisson ou pour la lessive. Car notre linge a été fort bien traité par une belle transsexuelle, assignée à la buanderie.
Des Philippines nous sommes passés à la corne de l’Afrique dans la taverne où la fête nationale a été célébrée par les réfugiés ou clandestins (sans doute Somaliens) à coups de baby foot. Surtout pas de mélange au bistrot : les Africains avec les Africains, les Asiatiques avec les Asiatiques et les Blancs avec les Blancs qui occasionnellement fraient avec des « natives ». Chacun pour soi et la bière pour tous. La géographie humaine de Sand Point est décidément très riche.
Surtout lorsque viennent s’y ajouter des Danois de passage : Sur « Sol », leur Bénéteau de 42 pieds, Kim et Kirsten (ingénieur civil et biologiste) vagabondent depuis 9 ans, sur toutes les mers, 6 mois par année – comme nous – et s’apprêtent à franchir cet été le passage du Nord Ouest, via Nome. Ils connaissent Rolland et Deb. Le monde océanique est finalement très petit. Ciaò Sand Point, nous allons naviguer dans d’autres eaux où ce sont les ours qui se gavent de sashimi.