Vie privée à Halibut Cove

(Par Sylvie)

La très mal nommée crique des flétans (Halibut Cove) est avant tout le repaire d’une bruyante tribu de loutres de mer. Jour et nuit, on les entend d’un bout à l’autre de la baie croquer des coquillages, des oursins et autres délicieusetés du cru. Les bébés sur leur ventre, les mamans se laissent glisser tranquillement au fil de l’eau.

Mais parfois…oups, un intrus s’interpose. Nous avons assisté à une tentative de viol en bonne et dûe forme. Les mâles qui ne connaissent ni la monogamie, ni la douceur ont la fâcheuse habitude de mordre le cou des femelles ( qu’on reconnaît à leur nombreuses cicatrices) pour pouvoir forniquer à leur aise. Mais cette fois maman sea otter réussit à échapper à son agresseur, sous l’œil consterné de son petit.

Les sympathiques mustelidae, qui vous déchiquetteraient la main d’un coup de dents, ont pour voisins une colonie de bipèdes plutôt bobo qui, pour la plupart, viennent passer leurs vacances ou leur week-end dans leur « cabin » très haut perchées sur des pilotis.

Car à Halibut Cove, la marée peut atteindre six mètres. Les bipèdes bobo eux non plus ne laissent pas violer facilement leur privacy. Au bout du ponton, qu’il faut gravir avec une corde et un piolet à marée basse, un écriteau vous avertit. Interdiction de franchir cette limite pour cause de propriété privée.

En bons Helvètes très disciplinés, nous nous contentons de longer le rivage à marée basse pour voir à quoi ressemble ce lieu de villégiature, magnifiquement situé.

Mais au bout de trois jours de présence inoffensive attestée par quelques habitants qui viennent sur le ponton voir à quoi nous ressemblons, nous recevons l’autorisation de nous promener où nous voulons, sur toutes les passerelles qui  relient les maisons et permettent de s’enfoncer sur des chemins de terre, d’un bout à l’autre de la crique.

C’est à cette occasion que nous découvrons que Halibut Cove est aussi, depuis plus d’un demi-siècle, le repaire d’un Sénateur alaskien, vétéran de la 2ème guerre mondiale et ancien Président du Conseil général des pêcheries d’Alaska : Clem Tillon, alias le « patriarche » de Halibut Cove. L’honorable Monsieur Tillon (qui nous assure n’avoir pas une goutte de sang français) a demandé à nous rencontrer. Il nous reçoit dans son « château » de bois à trois étages avec vue imprenable.

A 93 ans, il étonne par sa vivacité d’esprit. Il a une mémoire d’éléphant et des tonnes de souvenirs à raconter à des étrangers de passage. A commencer par l’histoire de sa famille arrivée en Amérique au 17ème siècle, dans les bagages, pourrait-on dire, de Peter Stuyvesan, le fondateur de la ville de New Amsterdam devenue New-York. Clem Tillon n’est pas peu fier non plus de son engagement dans l’armée américaine, à 18 ans, contre l’avis de ses parents. Ah ! la bataille de Guadalcanal, impossible d’oublier. « Vous vous rendez-compte, j’ai dû tuer un homme avant même d’avoir pu rencontrer une femme ! ». C’est au retour de la guerre qu’il s’installe en Alaska où tout vétéran peut recevoir une terre. « La terre. C’est ce qu’il y a de plus important pour l’homme. Tu perds un enfant tu peux en refaire un. Mais la terre… ».

A en juger par les devises qu’il assène, Clem Tillon a le caractère qu’il faut pour faire une carrière politique en Alaska. D’ailleurs, il ne cache pas son admiration pour certains dictateurs « comme le Général De Gaulle ou Pinochet qui a redressé l’économie du Chili ». Lui, il va se battre contre l’administration fédérale trop laxiste, pour instaurer des réglementations de pêche qui permettent de préserver la ressource et en particulier le saumon sauvage. Sa devise en politique : « When you have the power, use it ! ». En Alaska, pas de demi mesure.

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