Analphabètes chez les mangas

(Par Sylvie)

Pas facile de devenir analphabète et presque sourd-muet, du jour au lendemain !  Comme j’ai renoncé à m’enfoncer dans le crâne les milliers d’idéogrammes kanji et les 46 caractères « simplifiés » hiragana, impossible de savoir ce qui se cache dans les multiples emballages des denrées alimentaires nipponnes, de déchiffrer les enseignes des magasins, les étiquettes du marché, les affiches, le mode d’emploi des machines à laver du « laundromat », les panneaux d’interdiction, ni de comprendre les pubs débitées à longueur de trajets dans les bus.

Bref, si à Naha, nous nous trouvons dans un environnement urbain très semblable à celui de l’Occident, la vie quotidienne ressemble pour nous à un parcours du combattant.

Mais on se débrouille comme on peut. Grâce aux quelques phrases de japonais que j’ai laborieusement apprises pendant les quart ; aux trois mots de que peuvent capter les gens et à leur gentillesse; au sens de l’orientation de Marc, ou encore, au système D (j’ai photographié sur mon Iphone les panneaux affichés à laverie et me les suis fait traduire par l’employée de la marina qui, elle, parle l’anglais). Ce qui aide aussi beaucoup, ce sont ces visuels qui, à l’appui de l’écriture, envahissent le paysage urbain.

Au point que nous avons, en permanence, l’impression de nous promener dans un manga.

A moins d’aller visiter le gracieux jardin royal de Shikinaen  et le vénérable château de Shurijo (construit dès le XIVème siècle, détruit par les bombardements américains en 1944, entièrement restauré en 1992 et inscrit au patrimoine de l’UNESCO), où les habitants d’Okinawa se pressent le dimanche.

Et là je m’interroge : comment cette île d’Okinawa, qui fut autrefois le royaume raffiné de Rykyu, tout imprégné de culture chinoise a-t-elle sombré dans ce qui à nos yeux, représente la régression infantile et la « kitschitude » la plus absolue.

Outre le culte des peluches,  des couleurs pastelles et des paillettes, on reste abasourdi en faisant le « Round 1 » de Ginowan, qui nous renvoie dans la marina, les échos de son infini entertainment. Il s’agit d’une immense halle où les jeunes, comme les moins jeunes, se pressent à toute heure du jour et de la nuit, seuls ou en famille pour jouer à toute sorte de jeux vidéo dans un bruit d’enfer. Des jeux presse-boutons, plus ou moins débiles, qui requièrent une dextérité des doigts ou du poignet, parfois même des jambes, tout à fait sidérante.

Chacun est comme un robot devant sa machine, stressé à mort, pour faire le meilleur score. Tandis qu’au premier étage, juste à côté du bowling, des jeunes filles en fleurs font la queue devant les cabines des « beauty addict » pour un morphing photographique qui les propulsera dans la peau de leur idéal féminin.

Plus de 500 ans sont passés depuis le Royaume Rykyu. Aujourd’hui Okinawa c’est ce mélange étonnant, d’attitudes polies, de culture traditionnelle et de looks in, kitsch ou même parfois, totalement déjantés. Mélange qui force la sympathie envers ce Japon méridional, pas coincé du tout. Du moins en apparence.

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