(Par Sylvie)
Nous voilà mouillés dans le vaste lagon de l’atoll de Raroia.
De l’autre côté du motu (îlot) qui nous abrite, on voit déferler le Pacifique en furie. Il y a 30 nœuds de vent, mais nous sommes peinards, sur un plan d‘eau presque lisse aux mille et un tons de bleus et de verts. Surtout quand le soleil joue à cache-cache avec les grains.

Nous avons mis trois jours et trois nuits pour arriver des Marquises aux Tuamotu. Allure bon plein, pas confort confort, mais efficace.
Ca n’est pas sans un pincement au cœur que le 14 mai, nous avons quitté nos amis de Taiohae dont la générosité n’a pas de bornes. Lesté de kilos de pamplemousses, de citrons, de mangues, de papayes, de miel et de légumes, un régime de bananes pendu au portique, Chamade a fièrement mis le cap vers la baie voisine, surnommée la baie Daniel, en hommage à un sculpteur dont Marc avait réparé la meuleuse, il y a trente ans . Nous espérions (un vœu pieu) y trouver un mouillage un peu moins rock and roll pour préparer la traversée, et surtout nous voulions voir la cascade de Vaipo, qui chute de 350 mètres dans les falaises, au fond de l’imposante vallée d’Hakaui.

Un petit sentier qui longe la mer, au départ de la plage, un premier gué dans la rivière et nous arrivons dans un jardin d’Eden : quatre ou cinq habitations disséminées dans une végétation parfaitement entretenue, des bananeraies et cocoteraies, adossées à une muraille de roches noires, un chemin bordé de bougainvilliers et d’hibiscus. Première rencontre incongrue : la cabine téléphonique au milieu de nulle part. Elle fonctionne avec un petit panneau solaire qui alimente l’antenne. Car dans le village d’Hakaui, on ne reçoit pas l’électricité (on fonctionne à l’énergie solaire), pas la télévision, ni le téléphone portable et encore moins le wi-fi. C’est là que vivent Teiki et Kua, un jeune couple de cultivateurs.
Lui, l’authentique guerrier avec son tatouage qui lui lèche les tempes, son crâne presque rasé et son ornement en os sculpté à l’oreille. Elle qui l’aide dans les plantations- après avoir tenté une formation de sage-femme à Tahiti –. Quand des touristes passent, ils font table d’hôtes ou proposent des repas ou des fruits à l’emporter. Mais la majeure partie de leurs récoltes, ils la vendent à Nuku Hiva. La cabine téléphonique leur permet d’appeler le bateau qui viendra prendre en charge la cargaison, en remontant dans la rivière, à marée haute. Entre les fruits, le coprah et la viande qu’ils acheminent chaque année, Teiki et Kua obtiennent un chiffre d’affaire de près de trente mille francs suisses par année. Et presqu’aucune dépense, si ce n’est l’huile de coude qui leur permettra d’acheter prochainement leur propre bateau, en plus du vieux 4X4 débarqué par barge, il y trois ans, pour remplacer la brouette dans la bananeraie. Sinon aucune raison d’avoir une voiture. Il n’y a pas de route. En passant par la montagne Taiohae est à plus de deux heures de marche et presqu’autant à cheval.
A travers broussailles sous-bois, nous en avons mis presque autant, pour atteindre la cascade vertigineuse de Vaipo. Gauguin – c’est ainsi que je l’ai surnommé -, le chien qui nous a suivis par pur opportunisme, n’a pas caché son dépit lorsque nous avons sorti de nos sacs deux bananes au lieu du saucisson. Mais il s’est tout de même jeté dessus, avant s’en aller accompagner d’autres touristes. Sur le chemin du retour nous avons fait trempette dans la rivière bondissante, salué les quelques tikis qui hantent encore les lieux sacrés de la vallée, et pris possession de la chèvre au lait de coco et la citronnade que Kua nous avait préparé.

Après quoi nous avons dit adieu aux Marquises, à ses reliefs sculptés encapuchonnés de nuages, à sa nature aussi ombrageuse que lumineuse et à ses mouillages dansants pour gagner les atolls tout plats et des lagons turquoises des Tuamotu.