Planquée sous un bloc de corail, on pourrait l’appeler « poisson militaire » tant la livrée de la loche marbrée fait penser à une tenue de camouflage… Cela fait déjà plusieurs jours que j’en observe, la lippe salivante puisqu’elles sont délicieuses… pour autant qu’elles ne soient pas toxiques. Souvent porteur de ciguatera l’ « epinephelus polyphekadion » est d’ailleurs interdit de vente au marché de Papeete. Mais maintenant que nous avons obtenu le feu vert des pêcheurs de Raroia (la partie orientale du lagon n’est pas atteinte) il est temps que l’une d’entre-elles rejoigne notre casserole…

Le fusil sous-marin est armé… l’approche est lente… et là… juste sous
une excroissance corallienne par 5-6 mètres de fond… un beau spécimen…
Coulée lente… et, juste avant qu’elle ne disparaisse dans son abri, je
décoche ma flèche en pleine tête…
Premier requiem pour une loche…

A peine le temps de regagner la surface que déjà c’est le deuxième requiem
qui commence…
Un « carcharinus melanopterus », de la famille des « requins requiem »,
rapplique à toutes nageoires attiré par la vibration et le sang de la loche
blessée.
A Hollywood la suite serait homérique… mais au fond du lagon de Raroia…
pas de panique…
Ce n’est qu’un requin « pointe noire ». Curieux, très attiré par la proie
potentielle, mais prudent et de prime abord respectueux de cette autre
grosse bestiole à palmes qui remonte au plus vite sa prise dans son dinghy.
Il n’empêche qu’il vaut mieux ne pas laisser son poisson traîner dans l’eau
et garder un œil sur Monsieur Pointe Noire qui pourrait s’enhardir et
tenter sa chance…

On a beau savoir que le Pointe noire est qualifié de « peu dangereux », on
a beau en voir à chaque plongée… cela n’empêche pas de ressentir une
petite bouffée d’adrénaline… surtout lorsqu’une loche sanguinolente se
débat au bout de sa flèche…
Mais ainsi va la vie du chasseur sous-marin en Polynésie… et la première
crainte reste encore et toujours l’intoxication ciguatérique. Et là contre,
on ne peut que demander et faire confiance aux habitants de chaque atoll
pour éviter un troisième requiem…
P.S : Autre rencontre avec le monde des dents de la mer… mais vraiment
inoffensif celui-ci… le « requin dormeur » ou « requin nourrice » qui
somnole au creux d’une anfractuosité corallienne..
