Exxon Valdez : l’incroyable légèreté de l’être

Il est 21h 12 ce 23 mars 1989 quand, sous une fine pluie mêlée de neige, l’Exxon Valdez, un pétrolier géant de 300 mètres de long chargé de 200 millions de litres de pétrole brut, quitte le terminal pétrolier de Valdez.

2h52’ plus tard, le 24 mars à 00h04, un cauchemar commence : l’Exxon Valdez s’éventre littéralement sur les récifs de Blight. Huit de ses onze cuves relâchent une gigantesque masse visqueuse, une marée noire de 40 millions de litres de brut dans les eaux glacées du Prince William Sound.

L’Amérique se réveille choquée, le Sound, l’un des symboles de sa nature sauvage vient d’être irrémédiablement violé. Une gigantesque opération de sauvetage et de nettoyage se met en place. Elle mobilisera des milliers d’hommes pendant une année et demie.

29 ans plus tard, si les côtes ont retrouvés leur pureté apparente, une partie du pétrole est toujours là, caché sous les graviers des plages. Et certaines espèces marines comme le hareng ont totalement disparu.

Car dans ces eaux froides la mer et ses bactéries seront incapables de « digérer » ce pétrole comme elles l’ont fait sur les côtes tempérées de Bretagne ou d’Espagne après les catastrophes de l’Amoco Cadiz ou du Prestige.

Mais comment en est-on arrivé là ? Comment un pétrolier géant a-t-il pu s’échouer sur un récif parfaitement connu et indiqué sur les cartes ? La commission d’enquête montrera toute une série de négligences, de légèretés pour ne pas dire d’irresponsabilité.

Celle du capitaine Hazelwood tout d’abord, mais celle aussi de pratiques bien étranges.

Ce 23 mars Hazelwood passe l’après-midi à Valdez s’occupant de démarches administratives et d’achats personnels, éclusant aussi quelques bières aussi dans les bars de la ville. A 20h30, lorsqu’il rentre au bateau en compagnie de son ingénieur en chef, il apprend que le départ a été fixé par la compagnie à 21h (au lieu de 23h comme prévu) et cela sans qu’on l’avertisse ! L’Exxon Valdez appareille donc pratiquement en catastrophe, avec un capitaine à peine rentré, un second officier qui est parti dormir après avoir surveillé seul de longues heures durant le processus de chargement, et Gregory Cousins, un jeune 3ème officier peu expérimenté, qui s’est chargé des contrôles et des préparatifs de départ.

Un pétrolier dans la brume de Valdez en ce mois de juillet 2018

A la passerelle se trouvent donc Hazelwood, Cousins et le pilote chargé d’accompagner le navire jusqu’à la sortie des « Valdez Narrows », un étroit goulet situé à 19km de Valdez.

Malgré les règles de la compagnie qui prévoient la présence de deux officiers minimum pour le passage des Narrows, à peine dix minutes après l’appareillage le capitaine quitte la passerelle. Il ne reviendra que 40 minutes plus tard, à la demande pressante du pilote qui s’apprête à regagner la pilotine une fois les Narrows franchis.

A peine de retour, Hazelwood constate au radar la présence de mini-iceberg sur sa trajectoire. Ils proviennent du glacier Columbia qui à l’époque arrivait beaucoup plus près de la route des tankers. Il a le choix de modifier sa route, de quitter provisoirement le rail de navigation prévu ou de ralentir et de franchir la zone de glace à petite vitesse. Mais comme il vient de lancer le programme informatique d’accélération du navire (Un tel géant ne se conduit pas d’un simple coup de levier des gaz !) il choisit de quitter son rail après en avoir obtenu l’autorisation des gardes-côtes qui contrôlent le trafic. Mais étrangement, alors que le navire pointe désormais vers les récifs, il enclenche le pilote automatique et quitte la passerelle après avoir rapidement indiqué à Cousins qu’il devra bientôt corriger la route du navire, alors que ce dernier n’est pas habilité à conduire le navire.

Il est 23h40. Alors que l’Exxon Valdez court droit sur les récifs, Cousins reste seul officier sur la passerelle. Comme le second officier est fatigué, il a proposé à ce dernier de prolonger son quart et cela fait maintenant plus de 18 heures qu’il est réveillé. Peu avant minuit Cousins commence à se rendre compte que quelque chose ne va pas et ordonne au timonier de mettre la barre à droite. Puis voyant que l’immense navire ne tourne que trop lentement, à minuit 02, il ordonne de mettre la barre à droite toute… c’est trop tard… à 00h04 l’Exxon Valdez entre tristement dans l’histoire.

A peine le choc ressenti qu’Hazelwood surgit sur la passerelle. Tout de suite il minimise et s’emploie à tenter de déséchouer le navire en poussant les moteurs du navire pendant près de 15 minutes. Son chef officier monte alors à la passerelle pour lui préciser l’étendue des dégâts et lui dire que le stress subi par la structure du navire atteint les limites acceptables et que si le navire repart en eaux libres il risque de se briser en deux.

Le fond déchiré de l’Exxon Valdez (au début des travaux de réparations)

Mais Hazelwood n’en a cure, il renvoie le chef mécanicien a sa machine et tente cette fois-ci une « machine arrière toute ». Ce n’est que 25 minutes plus tard qu’il avertit enfin les gardes-côtes : « Nous avons dérivé et avons heurté des rochers au nord de Blight Reef. Nous perdons manifestement un peu d’huile ». Il ironise même : « Et nous allons ainsi restés là pour un bon moment… alors on peut dire que je vous ai averti ». Puis malgré les suppliques de son chef mécanicien il tente encore de faire bouger le navire jusqu’à 1h30 du matin. Il est désormais beaucoup trop tard. Plus de la moitié des 40 millions de litres de brut sont déjà dans la mer, le reste suivra en moins de deux heures.

250’000 oiseaux marins, 2800 loutres, 300 phoques, 250 aigles, 22 orques et des millions de harengs et de saumons vont mourir englués.

Les opérations de nettoyage impliqueront 11’000 personnes et 1400 navires pour un coût estimé à 2,2 milliards de dollars. Et on estime que seuls 11% du brut furent récupérés.

Hazelwood sera finalement condamné pour négligences et déchargement illégal de pétrole mais acquitté de l’accusation de conduite en état d’ivresse.

Mais comme le souligna la commission d’enquête, ce naufrage n’est pas dû à une simple erreur d’un capitaine potentiellement ivre. C’est bien plus le résultat d’une dégradation progressive des mesures de sécurité et du respect des procédures. Sans parler des pressions économiques pour réduire le nombre des membres d’équipage sur ces pétroliers géants.

Exxon, 2 ans plus tard acceptera de payer 3,5 milliards de dollars d’amende et de frais de nettoyage. Puis un tribunal condamna aussi Exxon à payer 2,5 milliards de dollars de dommages et intérêts mais la court suprême, en 2008, réduira cette somme à 500 millions de dollars.

Seul point positif : l’obligation immédiate par la loi américaine des navires à double coque pour le transport des hydrocarbures. Et le renforcement des mesures de sécurité sur place. Désormais les tankers sont escortés par deux remorqueurs et guidés par un pilote sur plus de 90 kilomètres, jusqu’à la sortie complète du Prince Williams Sound.

Une tôle de la coque simple de l’Exxon Valdez

Autre point important : cet accident aura permis de mesurer le risque couru par l’environnement arctique incapable de digérer une telle marée noire.

29 ans plus tard les scientifiques estiment que 80’000 litres de brut sont toujours noyés sous les galets du Sound. En diminution de 2 à 4% par an. Il faudra donc encore des décennies avant que tout soit effacé.

Désormais on sait !

Ce n’est pas pour autant qu’on semble en tenir compte dans les projets de recherche pétrolière qui fleurissent dans le Grand Nord.

 

(Récit et chiffres tirés du rapport final de l’Alaska Oil Spill Commission. Photos et documents: Musées de Valdez et de Cordova )

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