John sur notre petit navire

Il était un vaillant petit navire qui n’avait jamais navigué pendant deux ans. Et le voilà replongé d’un seul coup dans l’océan dit Pacifique. Était-ce le goût retrouvé des grands espaces marins et de la liberté? Toujours est-il que Chamade, s’est mis à danser une java effrénée sur des eaux qui n’avaient rien de pacifique. Sans doute en as-tu bavé, pendant cette semaine de traversée vers Frisco, notre vaillant petit navire.

Tu t’es fait abondamment giflé par des vagues qui semblaient vouloir te mettre à l’épreuve. Tu t’es pris deux gros troncs dans la gueule. Deux billes de bois flottant, insidieusement cachées dans les replis écumants de la mer qui t’ont fait gémir un moment ( nous allons vérifier si la blessure est grave ou si c’est juste un bobo). Tu as suivi les vents qui te poussaient vigoureusement aux fesses.

Et en nous menant à bon port, tu nous as offert, malgré le froid, de ces moments de grâce que le Covid a failli nous faire oublier: les cinquante nuances de gris et de bleus, la sensation de se perdre dans l’infini, les nuits pleines d’étoiles, l’écume phosphorescente dans l’obscurité sans lune, un dauphin bondissant entre deux eaux, un albatros voltigeant au ras des vagues, une baleine en balade. Pourtant, on en a vu des baleines, des oiseaux marins, des dauphins, mais à chaque fois c’est une excitation, toujours renouvelée.

Une excitation enfantine, partagée, cette fois, par John, notre ami John d’Anacortes. John, grand gamin de 78 ans qui a voulu vivre comme une unique opportunité, l’aventure du grand large. Dans sa jeunesse hippie, lorsqu’il exerçait sa profession de médecin urgentiste  en Arizona, il descendait sur une remorque son petit voilier, pour aller naviguer, avec Gerri, en mer de Cortès.  Aujourd’hui il régate tous les mercredis, devant tous les voiliers de sa catégorie, à bord de « Little Anna » ( un petit Beneteau de 7m50 ), dans la baie d’Anacortes.

Alors oui, naviguer en haute mer sur Chamade, c’est devenu son nouveau challenge. Et pour nous, ce fut non seulement l’occasion de naviguer avec un super équipier, drôle, tendre et  aux émerveillements communicatifs, mais aussi de faire une cure detox  d’internet et d’alcool ( en navigation comme au volant ).   En  réalité, nous avons embarqué un Américain, « so British ».  Délicat, discret fin, jusque dans son humour. Digne aussi dans son quart, même en pleine nuit froide alors que le vent lui glace les os.

Attendrissant quand il parle de ses deux amours: Gerry, sa partenaire et « Little Anna ».  « She did so good! » dit-il  à chaque retour de régate. (En anglais, le voilier est le seul objet qui n’est pas du genre neutre, mais féminin, signe de l’identification du peuple insulaire avec ses bateaux). Admiratif aussi quand il parle de la femme d’adoption  dont il découvre les performances: « Oh, Chamade sails so good, surfing the waves… »

John, ce fut vraiment un plaisir de l’embarquer, et de partager avec lui cette traversée exigeante. Plaisir aussi de mesurer son plaisir!  Nous sommes heureux d’avoir ainsi pu lui témoigner notre amitié et, aussi  de pouvoir les remercier, lui et Gerri, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé, dès notre premier passage à Anacortes, en 2013 et chaque fois que nous les avons retrouvés.…