Les bobos à l’assaut des babas

Apparemment, rien n’a changé en six ans  à Tenakee Springs, sur l’île de Chichagof. Le petit port de pêche, la vieille cabine téléphonique déglinguée, le chemin de terre qui longe la mer et les maisons de bois. Les bains chauds sont toujours ouverts, avec les mêmes horaires pour les femmes et pour les hommes. L’inutile abri bus du village (sans voitures) sert encore de lieu d’échange de toute sortes d’objets et livres.

L’épicerie « Syder Mercantile » qui date de 1899 » n’a pas changé de look extérieurement.

La « backery » de Chris dont le mari (artiste) fait de délicieux muffins aux framboises, non plus.

Pourtant un écriteau signale qu’elle est à vendre.

En chemin j’avais déjà remarqué quelques nouveautés : une maison totalement rénovée, en imitation bois, une autre encore à vendre, le bureau d’une agence immobilière, l’intérieur de l’épicerie  débarrassée de sa vieille caisse enregistreuse et autre vieux mobilier qui faisait son charme. Et plus loin, des habitations d’un luxe qui ne sied pas à Tenakee, le village des anciens baba-cool venus s’installer là pour vivre leur rêve de nature, peace and love, lorsque la Californie est devenue hors de prix.

Et puis, quelle circulation ! Le parking du port est plein de quads qui ont remplacé les rares vélos dont les habitants se servaient pour se déplacer. «  Aujourd’hui plus personne ne veux marcher » s’énerve Pam qui vit à Teenake depuis 1978. La bibliothèque, lieu de rendez-vous de la communauté n’ouvre plus que deux soir par semaine et encore, pas toujours.  L’école a fermé, car le quota de 10 élèves n’est plus atteint et pour les autres, l’école se fait à la maison ( c’est la mode, parait-il ).

« L’esprit n’est plus le même »  constate Pam. Elle compte parmi la grosse quinzaine d’habitants qui demeurent à Tenakee toute l’année. Les autres vont et viennent, entre Juneau et la résidence secondaire qu’ils ont acheté dans le village en faisant flamber les prix du terrain.

Ainsi les bobos de la capitale supplantent peu à peu les babas vieillissants, disparus ou émigrés.

C’est le cas de Cathy et de son mari Juan qui nous invitent à partager un verre dans le jardin de leur grande maison de famille impeccablement retapée et modernisé. Car si Cathy est une fille de Teenake, le couple possède une galerie d’art à Juneau et joue les pendulaires quand ça leur chante. Avec leur hors bord super rapide, c’est deux heure et demi de trajet, quand la mer est calme.

Et puis il y a l’hydravion : trois vols par jour, l’été et deux en hiver ( plus un le dimanche) pour les loisirs du week-end ou les vacances.

Même topo à Elfin Cove (au nord de l’île de Chichagof) charmante crique aux lutins enfoncée de la forêt, avec des maisons fleuries sur pilotis et des passerelles en bois.

Une douzaine habitants à l’année et 200 en été. Tous compris : la postière, sa soeur, tenancière de la petite épicerie, les deux vieilles dames du bar, les pêcheurs à demeure ou de passage, les résidents secondaires et surtout les visiteurs qui s’adonnent à la pêche sportive, spécialité incontestable de l’économie des lutins. Le village ne compte pas moins de 5 lodges qui tournent à plein pendant la saison.

Deux fois par jour Alaskan sea plane dépose les touristes et leur bagages en bout de ponton, ainsi qu’une cargaison venue de Chine : des caisses de poissons qui servent d’appas aux mordus de la pêche.

Hum.. quand on voit cela et que dans les ports on entend 24h sur 24, pendant des jours,  les générateurs des bateaux de pêche qui tournent pour maintenir au frais les poissons et les crabes, quand on passe devant les gigantesque remorques frigorifiques qui vrombissent devant les pêcheries, et qu’on considère les moteurs super puissants dont tous les bateaux sont équipés, on se dit que le bilan carbone du filet de poisson n’est vraiment pas terrible en Alaska !

Heureusement, la majeure partie de son immense territoire reste non contaminé et d’une beauté sauvage qui fait rêver.