Les Chamaneries de Chamade

Nous avons  jeté l’ancre derrière une barrière de rochers. Les cormorans  s’envolent et nous laissent seuls  dans le silence. Seuls quelques cris d’oiseaux s ‘échappent de la forêt baignée par une douce lumière. Sur les pieux d’un ponton effondré une figurine indienne faite de cordages et d’une bouée nous regarde de travers. D’où nous virent cette indéchiffrable sensation de mystère et de paix ? Nous sommes à Mamalilaculla, un lieu magique qui transpire l’ésotérisme.

Nous abordons en dinghy par la plage pour tenter de rejoindre ce qui, derrière l’épais rideau de ronces et de buissons, apparait comme une baraque abandonnée. C’est la maison que les Indiens Kwakiutl avaient construit pour y tenir clandestinement leurs « potlatches », ces cérémonies rituelles qui réunissaient les tribus autour des chamanes, pour de longues veillées de chants et de danses. Le gouvernement canadien avait interdit en 1884 ces coutumes « arriérées ». Mais les Kwakiutl avaient résisté,  tenant leurs cérémonies dans ce lieu quasi désert.  Jusqu’à ce qu’en décembre 1921, la police intervienne en plein « potlatch », arrêtant près de cinquante Indiens, dont  plus de la moitié furent condamnés à de longues peines de prison.  Certains ont voulu conserver la mémoire du lieu où se sont produits ces événements et sur la plage de petits autels ont été érigés, semble-t-il encore récemment.

Nous n’avons pas pu pénétrer très loin dans la végétation trop luxuriante. De plus,  sur le chemin où la nature a largement repris ses droits nous avons avisé  une fraîche déjection identifiée comme celle d’un ours. Nous nous sommes donc contentés d’admirer la carcasse à peine identifiable du totem qui protégeait l’entrée de la maison. Il gît désormais en très mauvaise posture horizontale, dans les buissons, face à la mer. Il devait représenter un loup.

 Nous sommes restés jusqu’au jour déclinant  sur le rivage à nous imprégner de cette atmosphère quasi mystique. La marée descendante nous faisait découvrir d’autres contours et d’autres dessins étranges dans la roche. Mais soudain, c’est  la silhouette de l’ours que nous avons aperçu. Il traversait  à la nage le gué qui le séparait de l’île d’en face.  Nous avons pu l’observer  un bon moment à distance raisonnable, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive de notre présence et prenne ses jambes à son cou.

Dans le monde occulte de Mamalilaculla (qui signifie le dernier potlatch) nous avons mis un ours en fuite. Qui dit mieux à part les chamanes Kwakiutl ?

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