Les dévots de San Benito

San Benito c’est leur paradis, leur refuge, leur nid. Une petite crotte de mouche dans le Pacifique mexicain, émergée à quelques vingt milles de sa grande sœur, Cedros.

Une île bénie pour les éléphants de mer qui viennent chaque année de décembre à mars pour s’y reproduire, avant de reprendre le chemin du large où ils passent 90% de leur temps en eau profonde. Nous sommes inopinément tombés dessus en tirant notre dinghy sur la petite plage de San Benito.

À deux pas de pêcheurs taiseux, affairés à décharger leurs casiers, un monstre marin gisait sur le flan, immobile, la tête couverte de mouches. J’ai cru qu’il était mort… Mais non, il a juste ouvert un œil pour se conforter dans l’idée que les bipèdes étrangers étaient inoffensifs. Et puis il est retourné à sa sieste. Même scénario, même casting trois mètres plus haut, en bordure des cabanons et autres constructions qui forment le village. Une trentaine de personnes – parfois plus selon les saisons de pêche- y vivent. Essentiellement des hommes. Les femmes et les enfants, eux, sont basés dans l’île de Cedros et le regroupement familial a lieu occasionnellement à San Benito.

Tout cela, c’est Anna et Ramsès qui nous l’expliquent. Tous deux sont biologistes. Ils travaillent pour le compte d’une ONG active dans la protection de la nature. Trois fois par année ils s’installent à San Benito, avec pour principale mission : liquider les rongeurs, importés d’on ne sait où, qui ne font pas partie du biotope de cette île volcanique, genre Canaries, et y font des dégâts considérables. Dératisation, mais aussi observations : Anna et Ramsès étudient le comportement des « murrelets » (pas trouvé le nom français), et des rapaces nocturnes, sans doute meilleurs pièges à rats que ceux qu’ils ont installé dans le sol. Et puis, bien sûr, ils veillent sur la tranquillité des colonies d’éléphants de mer de San Benito (une des rares dans le Pacifique nord).

Plus nombreux que les habitants de l’île, les mammifères marins ont opté pour les différentes anses de la plage la moins protégée de la houle et du vent. Femelles, enfants, tous s’agglutinent pêle-mêle sur le sable. Ça braille, ça grogne, ça éructe, ça se chamaille et ça mugit carrément lorsqu’un mâle en tenue de camouflage, sorti tout droit de Jurassic Parc, émerge de l’eau pour venir semer la zizanie dans le harem de son rival endormi. Certains ados, moustache et trompe naissantes (seuls les mâles ont le privilège de cet appendice inesthétique), testent leur testostérone face à Marc qui s’approche un peu trop près de leur carré de sable. On aboie, on montre les dents, tandis que les plus petits blottis contre maman, lèvent parfois le museau pour humer l’odeur humaine qui leur parvient. Foutez-nous la paix, semblent-ils nous dire. Les éléphants de mer sont paraît-il très timides. S’ils voyaient leur gueule dans une glace, ils le seraient sans doute moins.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.