Peace of Kake

Sympa, le slogan de la communauté de Kake. Nous décidons donc d’aller nous en payer une tranche, en allant visiter ce village Tlinglit de cinq cents habitants qui, selon les guides, possède le plus haut totem monde : 40 mètres, lorsqu’il fut érigé en 1971. Mais comme, depuis, il a perdu  un bout de sa tête, on ne sait plus très bien.

 

Bref. Vu l’exiguïté du ponton en partie réservé aux hydravions, nous jetons l’ancre juste à côté  dans la petite anse qui, à marée haute, est juste assez profonde pour Chamade.

Il est midi. Personne dans les environs. Où sont passés les habitants ? Ils sont tous réunis en Conseil de la tribu. Comme les étrangers ne sont pas admis nous poursuivons notre promenade. Nous arrêtons devant la superbe école de Kake, fréquentée par une centaine d’enfants et d’adolescents, qui visiblement sont en congé ( ou au Conseil) ce vendredi après-midi.

Plus loin se dresse l’église presbytérienne. Celle-là même où – nous allons bientôt l’apprendre par une  enseignante non concernée par le Conseil Tlinglit –  s’est déroulé un terrible drame : Mackenzie Howard une jeune autochtone de 13 ans y a été assassinée  le 5 février 2013. Ce jour là tout le village était rassemblé devant le totem pour un potlatch. Une grande grande cérémonie indienne à la mémoire des ancêtres à laquelle plusieurs tribus cousines avaient été conviées.

En début de soirée Mackenzie, dit à son père qu’elle rentre à la maison.  Elle sera retrouvée nue, le crâne fracassé, dans l’église. Paniquée, la communauté de Kake appelle immédiatement la police de Juneau qui se trouve à 120 kilomètres à vol d’oiseau du village, isolé au nord de l’île de Kupreanof.  Mais il fait nuit et le déplacement n’est pas aisé.  Il faudra donc attendre le lendemain midi avant de voir arriver les représentants de l’ordre.  « Ici, pour que la police arrive sur le champ, il faut tuer un orignal », se plaint alors un habitant, à la presse.  L’enquête révélera que l’assassin est un adolescent de 14 ans, fils des amis et voisins de la famille Howard, revenu pour le potlatch, alors qu’il vivait en institution près de Sitka.

De retour au bateau je me jette sur internet pour tenter d’en savoir davantage sur ce drame. Je n’apprendrai rien de plus, protection des mineurs oblige. Je récolte, en revanche, d’autres informations intéressantes

Tout d’abord, contrairement à ce qui a cours dans les autres États américains, l’Alaska ne reconnaît pas de territoires indiens, où s’applique une juridiction tribale. Or bien que dépendant de la juridiction de l’Etat, les 75 villages de « natives », souvent isolés, n’ont droit à aucune protection policière. On  laisse les tribus se débrouiller seules avec leurs cercles et leurs commissions de médiation qui règlent les infractions « sociales » : enlèvement s de femmes, suicides, abus d’alcool, violence domestique, viols etc…

Ce qui ne manque pas dans les communautés « natives » d’Alaska qui, comparées à celles des autres Etats, battent tous les records de criminalité. Kake, est en bonne position dans ce palmarès,  avec deux meurtres de femmes, ces dernières années, avant celui de Mackenzie.

Il faut dire que l’économie du village a sombré avec le déclin de l’industrie du bois. Kake compte désormais 80% de chômeurs qui vivent de cueillette, de chasse, de pêche et, sans doute de quelques subsides. Pas de quoi nourrir  beaucoup d’espoirs. Si ce n’est celui d’exorciser leurs démons par l’humour  pour  mettre un terme à la violence.

Si le Conseil du village était réuni ce vendredi, c’était pour honorer la mémoire de Mackenzie, partager la peine de ses parents et invoquer leur pardon.  C’est aussi ça la « peace of Kake ».

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